Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6992

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 357-358).
6992. — À M. DAMILAVILLE.
22 auguste.

Je sais, monsieur, que vous vous amusez quelquefois de littérature. J’ai fait chercher l’Ingénu, pour vous l’envoyer, et j’espère que vous le recevrez incessamment ; c’est une plaisanterie assez innocente d’un moine défroqué, nommé du Laurens, auteur du Compère Matthieu[1].

J’ai vu à Ferney, depuis peu de jours, votre ami, qui est menacé de perdre entièrement les yeux, et dont la santé est très-altérée. Il m’a montré des lettres des ministres, de MM. les maréchaux de Richelieu et d’Estrées, et de toute la maison de Noailles, au sujet de La Beaumelle. Il m’a dit que ses démarches étaient absolument nécessaires ; que les écrits de La Beaumelle étaient très-répandus dans les pays étrangers, et qu’on n’y recherchait même d’autre édition du Siècle de Louis XIV que celle qui a été faite par ce malheureux, et qui est chargée de falsifications et de notes infâmes. Ce La Beaumelle est un énergumène du Languedoc, un esprit indomptable, qu’il a fallu écraser. Le canton de Berne[2], outragé dans ses libelles, en a demandé justice au ministère.

On dit que M. de Beaumont fait le factum pour les protestants de Guienne, accusés d’avoir assassiné les curés. Je ne vois pas comment il peut faire à Paris un mémoire sur une enquête secrète instruite à Bordeaux.

Pourriez-vous, monsieur, avoir la bonté de me faire parvenir le petit livre de la Théologie portative ? Vous savez qu’on n’a pas voulu faire une seconde édition de l’ouvrage de mathématiques[3]. Le libraire dit qu’on est surchargé d’éléments de géométrie. Il n’y a plus de livres qu’on imprime plusieurs fois, que les livres condamnés. Il faut aujourd’hui qu’un libraire supplie les magistrats de brûler son livre pour le faire vendre.

Votre ami malade vous fait les plus tendres compliments ; il passe la moitié de la journée à souffrir, et l’autre à travailler.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

Boursier.

  1. Voyez une des notes sur la lettre 6968.
  2. Dans son ouvrage intitulé Mes Pensées, La Beaumelle outrage plusieurs familles bernoises ; voyez tome XV, page 101.
  3. Voyez lettres 6973 et 6985.