Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6930

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 306-307).
6930. — À M. COLINI.
Ferney, 7 juillet.

Il est vrai, mon cher ami, que j’ai eu la faiblesse de jouer un rôle de vieillard dans la tragédie des Scythes ; mais je l’ai tellement joué d’après nature que je n’ai pu l’achever : j’ai été obligé d’en sauter près de la moitié, et encore ai-je été malade de l’effort. Vous savez que j’ai soixante-quatorze ans, et que ma constitution est faible. Il y a aujourd’hui quatre années révolues que je ne suis sorti de l’ermitage que j’ai bâti. Mon cœur est à Schwetzingen ; mais mon corps n’attend qu’un petit tombeau fort modeste que je me suis élevé auprès d’une petite église de ma façon. Hélas ! comment oserai-je me présenter devant Leurs Altesses électorales, ayant presque perdu la vue, et n’entendant que très-difficilement ? Il faut savoir subir sa destinée. Nous avons à Ferney d’excellents acteurs ; leurs talents me consolent quelquefois dans ma décrépitude ; le climat est dur, mais la situation est charmante ; j’achève doucement ma vie entre une nièce et Mlle Corneille, que j’ai mariée, et quelques amis qui viennent partager ma retraite. Mais rien ne me dédommage de Schwetzingen. Je me ferai un plaisir bien vif de vous voir à Manheim, dans le sein de votre famille. J’embrasse de loin votre femme et vos enfants. Je m’intéresserai à votre bonheur jusqu’au dernier moment de ma vie.

Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de Leurs Altesses. Plaignez-moi, et que votre amitié soit ma consolation.