Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6783

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 151-152).
6783. — À M. LEKAIN.
4 mars.

Je me flatte, mon cher ami, que vous aurez rétabli votre santé quand cette lettre vous parviendra. Je pense que, pour prévenir les éditions dont on me menace de tous côtés, vous devez au moins vous assurer de quatre ou cinq représentations avant Pâques ; mon libraire de Paris tiendrait alors la pièce toute prête pour la rentrée, supposé que cette pièce méritât d’être reprise ; sinon vous vous contenteriez de ces quatre ou cinq représentations, et il n’en serait plus parlé.

On dit que le public n’aime pas Dauberval, et que Grandval conviendrait mieux : c’est à vous à décider, et à faire ce que vous trouverez à propos. Sans vous rien ne se peut ni ne se doit faire. Prendrez-vous la peine, mon cher ami, d’adoucir la voix de Mlle, Durancy, surtout dans les premiers actes ? Baissera-t-elle les yeux quand il le faut ? Dira-t-elle d’une manière attendrissante :

Si la Perse a pour toi des charmes si puissants,
Je ne te contrains pas, quitte-moi, j’y consens ;

J’en gémirai, Sulma : dans mon palais nourrie,
Tu fus en tous les temps le soutien de ma vie ;
Mais je serais barbare en t’osant proposer
De supporter un joug qui commence à peser, etc. [1].


Pleurera-t-elle, et quelquefois soupirera-t-elle, sans parler ? Passerâ-t-elle de l’attendrissement à la fermeté, dans les derniers vers du troisième acte ? Dira-t-elle bien non de la manière dont on dit oui ? Si elle fait tout cela, ce sera vous qu’il faudra remercier. La pièce est difficile à jouer ; elle a surtout besoin de deux vieillards qui soient naturels et attendrissants. Les succès dépendent entièrement des acteurs ; s’il y en avait trois ou quatre comme vous, vos parts seraient au moins de vingt mille livres.

M. de Thibouville a la bonté de se charger de bien des détails. Portez-vous bien ; je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Voyez tome VI, page 332.