Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6772

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 138-139).
6772. — À M. DAMILAVILLE.
27 février.

En réponse à votre lettre du 21, mon cher ami, je vous dirai d’abord que j’ai été plus occupé que vous ne pensez de l’abominable calomnie qu’un homme en place a vomie contre vous. J’ai écrit à un de ses parents[1] d’une manière très-forte qui ne compromet personne, et qui ne laisse pas même soupçonner que vous soyez instruit de ce procédé infâme. Vous êtes d’ailleurs à portée d’employer des gens de mérite qui le détromperont ou qui le désarmeront.

J’admire sous quelles formes différentes le fanatisme se reproduit : c’est un Protée né dans l’enfer, qui prend toutes sortes de figures sur la terre. Je ne suis pas fâché de l’éclat qu’on a voulu faire contre Bélisaire. On ne peut que se rendre ridicule et odieux en attaquant une morale si pure. Les ennemis de la raison achèvent d’amonceler des charbons ardents sur leur tête ; le livre qu’ils attaquent en sera plus connu et plus goûté. Dieu et la raison savent tirer le bien du mal.

Je crois enfin l’affaire de M. Lembertad finie ; ce n’a pas été sans peine. La communication entre nous et Genève est absolument interdite, et sans les bontés de M. le duc de Choiseul, nous mourrions de faim, après avoir fait vivre tant de monde.

J’ai été très-content de la conversation du curé et du marguillier[2], dans laquelle on rend justice aux vues saines et patriotiques du ministère. Plus la permission qu’il a donnée d’exporter les blés mérite notre reconnaissance, et plus nous en devons aussi au Dictionnaire encyclopédique, qui démontre en tant d’endroits les avantages de cette exportation. Il est certain que c’est le plus grand encouragement qu’on pût donner à l’agriculture. Je le sens bien, moi qui suis un des plus forts laboureurs de ce petit pays.

Je suis, pour les Scythes, à peu près dans le même cas où Beaumont est pour son mémoire. J’éprouve des difficultés de la part de mes avocats ; et ce qui finirait en deux jours si j’étais à Paris, traîne des mois entiers : voilà pourquoi vous n’avez point eu les Scythes. On dit que le tragique est absolument tombé ; je n’ai pas de peine à le croire.

M. le chevalier de Chastellux est une belle âme. Il a des parents qui ne sont pas si philosophes que lui. Je vous assure qu’on l’a échappé belle, et qu’il y avait là de quoi perdre un homme sans ressource. Je suis affligé que vous n’ayez rien à me dire de Platon[3] sur toutes les occasions que je saisis de lui rendre justice.

Voici les propres mots d’une lettre de l’impératrice de Russie, en m’envoyant son édit sur la tolérance[4] : « L’apothéose n’est pas si fort à désirer qu’on le pense ; on la partage avec des veaux, des chats, des ognons, etc., etc., etc. Malheur aux persécuteurs ! ils méritent d’être rangés avec ces divinités-là. » Elle m’ajoute que « les suffrages de MM. Diderot et d’Alembert l’encouragent beaucoup à bien faire ».

Voici le premier chant de la Guerre de Genève, puisque vous voulez vous amuser de cette plaisanterie.

  1. Cette lettre manque.
  2. Dialogue d’un curé de campagne avec son marguillier, au sujet de l’édit du roi qui permet l’exportation des grains ; par M. Gérardin, curé de Rouvre en Lorraine, 1767, in-8o.
  3. Diderot.
  4. Du 9 de janvier 1767.