Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6664

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 33-34).

6664. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
À Saint-Pétersbourg-, ce 9 janvier 1767.

Monsieur, je viens de recevoir votre lettre du 22 décembre[2], dans laquelle vous me donnez une place décidée parmi les astres ; mais je ne sais si ces places-là valent la peine qu’on les brigue. Par tout autre que vous et vos dignes amis je ne voudrais point être mise au rang de ceux que le genre humain a adorés pendant si longtemps. En effet, quelque peu d’amour‑propre qu’on se sente, réflexion faite, il est impossible de désirer de se voir en égalité avec des oignons, des chats, des veaux, des peaux de bête, des serpents, des crocodiles, des bêtes de toute espèce, etc., etc. Après cette énumération, quel est l’homme qui voulût des temples ?

Laissez-moi donc, je vous prie, sur la terre ; j’y serai mieux à portée de recevoir vos lettres, celles de vos amis les d’Alembert, les Diderot ; j’y serai témoin de la sensibilité avec laquelle vous vous intéressez à tout ce qui regarde les lumières de notre siècle, partageant si parfaitement ce titre avec eux.

Malheur aux persécuteurs ! ils méritent d’être rangés parmi les déités ci-dessus spécifiées. Voilà leur vraie place.

45. — Correspondance. XIII. 3

Au reste, monsieur, soyez persuadé que votre approbation m’encourage beaucoup.

L’article dont je vous ai fait part[3], qui regarde la tolérance, ne sera rendu public qu’à la fin de l’été prochain.

Je me souviens de vous avoir écrit dans ma précédente ce que je pensais de la publication des pièces qui concernent l’archevêque de Novogorod : cet ecclésiastique a donné depuis peu encore une preuve des sentiments que vous lui connaissez. Un homme qui avait traduit un livre le lui porta ; il lui dit qu’il lui conseillait de le supprimer, parce que, dit-il, il contient des principes qui établissent les deux puissances.

Soyez assuré que, quelque titre que vous preniez, il ne nuira jamais chez moi à la considération qui est due à celui qui plaide avec toute l’étendue de son génie la cause de l’humanité.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, tome X, page 159.
  2. Lettre 6629.
  3. Lettre 6393.