Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6615

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 536-537).

6615. — À M. BORDES.
À Ferney, 15 décembre.

Je vous suis très-obligé, monsieur, des deux livres que vous voulez bien me confier, et que je vous rendrai très-fidèlement dès que je les aurai consultés. J’espère les recevoir incessamment. L’abbé Coyer me jure qu’il n’est point l’auteur de la Lettre à Pansophe : c’est donc vous qui l’êtes ? Vous dites que ce n’est pas vous : c’est donc l’abbé Coyer. Il n’y a certainement que l’un de vous deux qui puisse l’avoir écrite. Le troisième n’existe pas. De plus, vous étiez tous deux à Londres à peu près dans le temps que cette lettre parut. Il n’y a que vous deux qui puissiez connaître les Anglais dont on trouve les noms dans cette pièce. Le style en est parfaitement conflorme à la Profession de foi[1] très-plaisante que vous fîtes, il y a quelques années, entre les mains de Jean-Jacques.

Vous avez très-grande raison d’avouer que ce Jean-Jacques a quelquefois de la chaleur dans ses déclamations, et qu’il est souvent contraint, obscur, insolent, hérissé de sophismes, et plein de contradictions. Si vous vouliez ajouter, à cette confession générale, que vous vous êtes réjoui fort agréablement à ses dépens dans la Lettre à Pansophe, vous auriez une absolution pléniére, sans être obligé ni à la pénitence ni au repentir, et vous seriez certainement sauvé chez tous les gens de lettres.

Je ne trouve donc dans cette publication de la Lettre à Pansophe d’autre défaut, sinon qu’elle me met en contradiction avec moi-même comme Jean-Jacques. Je dis à M. Hume[2] qu’il y a plus de sept ans que je n’ai écrit à ce polisson, et cela est très-vrai. La Lettre à Pansophe semble me convaincre du contraire. Vous m’avez toujours marqué de l’amitié : je vous en demande instamment cette preuve. La Lettre à Pansophe vous fait honneur, et me ferait du tort. Vous avouez l’ode[3] que vous avez mise sous mon nom ; avouez donc aussi la prose, et croyez qu’en vers et en prose je connais tout votre mérite, et que je vous suis tendrement attaché.

  1. Voyez la note 3, tome XLIII, page 502.
  2. Voyez tome XXVI, page 29.
  3. L’Ode sur la guerre.