Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6599

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 520-521).

6599. — À M. DAMILAVILLE.
1er décembre.

Mon cher ami, j’ai prié M. d’Argental de vous mettre dans la confidence d’un drame[1] d’une espèce assez nouvelle. Je ne veux rien avoir de caché pour vous. Je crois que cet ouvrage était absolument nécessaire pour confondre la calomnie, cette calomnie dont je vous parlais si souvent en vous disant : Ècr. l’inf….

Vous savez avec quel acharnement elle m’impute, presque tous les mois, quelque mauvais livre bien scandaleux que je n’ai jamais lu et que je ne lirai jamais. Les mauvais poëtes ne sachant plus comment s’y prendre pour me perdre, après m’avoir immolé à Crébillon, m’ont voulu immoler aux jansénistes ; ils se sont avisés de faire de moi un théologien, et ils prétendent, avec l’abbé Guyon et l’abbé Dinouart[2], que je traite continuellement la controverse. Or certainement un homme qui fait une tragédie n’a guère le temps de controverser. Une tragédie demande un homme tout entier, et le demande pour longtemps. Non-seulement je me suis remis à faire des pièces de théâtre, mais j’en fais faire. Je m’occupe beaucoup de celle à laquelle La Harpe travaille actuellement sous mes yeux, et j’en ai de grandes espérances. J’ai dans ma vieillesse la consolation de former des élèves : je rends par là tout le service que je puis rendre aux belles-lettres. Il me semble que je ne mérite pas les cruelles persécutions que j’essuie depuis si longtemps.

Mandez-moi donc à qui on attribue le petit livre savant et éloquent que vous m’avez envoyé avec une note de M. Thieriot. L’auteur de ce livre ne me traite pas comme les Guyon et les Fréron : je voudrais bien connaître cet honnête homme.

Savez-vous quel est le polisson qui a fait le plat ouvrage intitulé la Justification de Jean-Jacques, et qui prétend que Jean-Jacques est le seul philosophe dont la conduite soit conforme à ses principes ?

Les affaires de Genève doivent finir bientôt. Ce petit État devra au roi toute sa félicité, outre quatre millions cinq cent mille livres de rente dont les Genevois jouissent en France. M. le chevalier de Beauteville leur a donné un projet qui est la sagesse même. S’ils ne l’acceptaient pas, il faudrait qu’ils fussent plus fous et plus méchants que Jean-Jacques.

Je vous embrasse tendrement, mon très-cher ami. Remerciez bien pour moi M. Thieriot de son attention, et faites quelquefois mention de moi avec Tonpla.

M. Boursier est toujours dans les mêmes sentiments ; il dit qu’il se tiendra toujours prêt.

N. B. L’avocat de Besançon, auteur du Commentaire sur les lois, concernant les Délits, a beaucoup augmenté son ouvrage[3]. L’édition est entièrement épuisée. Pourriez-vous demander à M. Marin si on permettra dans Paris l’entrée d’une nouvelle édition conforme à ce qui a déjà été imprimé, et très-circonspecte dans ce qui sera ajouté ?

  1. Les Scythes.
  2. L’un, auteur de l’Oracle des philosophes ; l’autre, rédacteur du Journal chrétien.
  3. Cet ouvrage est de Voltaire ; voyez tome XXV, page 539.