Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6560

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 488).

6560. — À M. DE CHABANON.
À Ferney, 3 novembre.

Vous êtes donc, monsieur, tout à travers les ruines de l’empire romain, et vous faites pleurer votre Eudoxie sur les décombres de Rome. Quand aurai-je le plaisir de mêler mes larmes aux siennes ? quand pourrai-je lire cet ouvrage, auquel je m’intéresse presque autant qu’à son auteur ? Quelque bon qu’il soit, il sera fort difficile qu’il soit aussi aimable que vous.

Vous prétendez donc que j’ai été amoureux dans mon temps tout comme un autre ? Vous pourriez ne vous pas tromper. Quiconque peint les passions les a ressenties, et il n’y a guère de barbouilleur qui n’ait exploité ses modèles. Voyez J.-J, Rousseau : il traîne avec lui la belle Mlle Levasseur, sa blanchisseuse, âgée de cinquante ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu’il a pourtant abandonnés pour s’attacher à l’éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier. C’est un grand charlatan et un grand misérable que ce J.-J. Rousseau. J’aime mieux la charlatane Mlle Durancy, qui enchante le public, et à laquelle vous confierez probablement le rôle d’Eudoxie ou Eudocie.

Jouissez, monsieur, de tous vos talents, qui font votre gloire et votre bonheur. Jouissez de vos passions, partagez-vous entre le travail et les plaisirs, et n’oubliez pas un vieux solitaire si sensiblement pénétré de tout ce que vous valez.

Mme Denis vous fait mille tendres compliments.