Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6548

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 477-478).

6548. — À MADAME DE SAINT-JULIEN[1].
À Ferney, 28 octobre.

Je ne sais, madame, si vous avez reçu une lettre que j’eus l’honneur de vous adresser à la Grange-Batelière, il y a environ un mois. Il me souvient que dans le temps où vous honorâtes mon couvent de votre apparition, vous me dîtes que les lettres qu’on vous écrivait étaient quelquefois reçues par votre ex-mari ; il aura vu que je suis un galant presque aussi dangereux que Moncrif, quoique je ne sois pas si bien coiffé que lui, et voilà à peu près tout ce qu’il aura vu. Je crois que je vous parlais encore d’un galérien. Enfin, je suis curieux de savoir si ma lettre vous est parvenue : je serais encore plus curieux, madame, d’apprendre si vous êtes heureuse, si votre brillante imagination vous fait goûter les plaisirs des illusions, ou si vous en avez de réels ; si vous tuez des perdrix ou si vous vous contentez de tuer le temps ; si vous avez vu Mlle  Durancy[2] et si vous en avez été contente ; si vous avez lu le procès de Hume et de Jean-Jacques, et s’il vous a fait bâiller.

N’allez-vous pas mettre M.  Thomas de l’Académie ? L’abbé de Voisenon ne lui refusera pas sa voix ; le public lui donne la sienne. Pour moi, madame, je vous donne la mienne : car vous avez plus de goût et d’esprit que toute notre Académie ensemble. Je suis bien content de M.  le duc de Choiseul ; c’est une belle âme. Je me mets à vos pieds, madame.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. De la Comédie française. Elle avait d’abord débuté sans succès à l’Opéra. Il parait qu’elle ne fut pas meilleure comédienne que chanteuse. Aussi Mlle  Durancy est-elle moins connue par son talent que par un jeu de mots un peu leste de Sophie Arnould sur son nom. (A. F.)