Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6525

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 452-453).

6525. — À M. LE DUC DE NIVERNAIS[1].
Au château de Ferney, par Genève, 29 septembre 1766.

Oserai-je, monseigneur le duc, prendre la liberté de vous importuner ? Vous me le pardonnerez, car il s’agit de faire du bien et de mettre le comble à vos bienfaits envers une famille que vous avez daigné tirer de l’état le plus horrible.

Vous avez, monseigneur, fait sortir des galères par votre protection le sieur d’Espinasse, d’une très-bonne famille de Languedoc. Il avait subi ce supplice pendant vingt-trois années, et il était condamné aux galères perpétuelles pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant. Son bien fut contistué selon l’usage, et le tiers du revenu fut retenu pour la nourriture de ses enfants, qui n’en ont jamais rien touché. Sa femme, qui est respectable par sa vertu et par ses malheurs, est retirée à Lausanne, où elle est au pain des pauvres. Je sais que votre bonté, qui ne s’est point lassée, s’est employée encore en faveur de cette famille infortunée. Vous avez fait ce que vous avez pu pour lui obtenir grâce entière et pour lui faire rendre son bien. Vous en avez parlé à M. de Saint-Florentin, et je suis bien surpris que son humauité ait résisté à vos sollicitations généreuses. Je le crois actuellement adouci, et l’on me fait espérer qu’un mot de votre bouche achèvera de le rendre favorable à une si juste demande.

Permettez donc que je vous supplie de vouloir bien encore lui parler de cette affaire, avec ce don de la persuasion que la nature vous a donné parmi tant d’autres.

Vous verrez incessamment le mémoire de M. de Beaumont en faveur d’une famille encore plus malheureuse ; vous en jugerez. Votre suffrage servira beaucoup à déterminer celui du public, et par conséquent celui du conseil. Le style et le fond des choses sont également soumis à votre pénétration. Je ne suis que voire confrère à l’Académie, mais je vous reconnais pour mon supérieur en tout le reste. J’achève ma vie sans avoir le bonheur de vous faire ma cour ; mais ce n’est pas sans vous être sincèrement attaché.

Je suis avec un profond respect, monseigneur, etc.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.