Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6313

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 263-264).

6313. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
6 avril.

J’ai montré au petit apostat la lettre de mes anges, et leurs judicieuses observations. En vérité, ce pauvre jeune homme est à plaindre. « Vos anges voient clair, m’a-t-il dit ; je pourrais disputer avec eux sur un ou deux points ; mais je ne veux pas songer à des coups d’épingle lorsque je me meurs de la consomption. Je peux bien promettre à vos anges une cinquantaine de vers bien placés et vigoureux ; je pourrai limer, polir, embellir ; mais comment intéresser dans les deux derniers actes ? Les gens outragés qui se vengent n’arrachent point le cœur ; c’est quand on se venge de ce qu’on adore qu’on fait des impressions profondes, et qu’on enlève les suffrages ; deux personnes qui manquent à la fois leur coup font encore un mauvais effet : cette dernière réflexion me tue. Ma maison est tellement construite que je ne poux en ôter ce triste fondement. Tout ce que je puis faire, c’est de dorer et de vernir les appartements, et de les dorer si bien qu’on pardonne les défauts de l’édifice. Écrivez donc à vos anges qu’ils aient la bonté de me renvoyer mes cinq chambres[1], afin que je les dore à fond. »

Ayez donc pitié de ce pauvre diable, je vous en prie. Gloire vous soit rendue à jamais pour avoir réhabilité un art charmant et nécessaire ! On a bien de la peine avec les Welches, mais à la fin on vient à bout d’eux.

Il y a deux exemplaires à Genève d’un maudit livre intitulé la France détruite par M.  le duc de[2]… Je n’ai pu parvenir à le voir, et je ne crois pas qu’il se vende à Paris avec privilège. Je me mets au bout des ailes de mes anges avec mon culte ordinaire.

  1. Les cinq actes de la tragédie du Triumvirat.
  2. C’est un pamphlet contre le duc de Choiseul.