Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6285

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 238-239).

6285. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Ferney, 4 mars 1766.

Madame, je ne sais comment les mauvaises plaisanteries[2] dont Votre Altesse sérénissime daigne me parler sont parvenues jusqu’à elle. J’ai eu l’honneur de lui envoyer par la dernière poste deux de ces rogatons que j’ai fait chercher dans Genève. On imprime tout le recueil en Suisse, et j’espère qu’à la fin de mars j’enverrai à Votre Altesse sérénissime cette collection de fadaises théologiques, puisqu’elle veut bien s’en amuser.

Je ne m’attendais pas, madame, à jouir du bonheur de vous renouveler de ma main mes sincères et respectueux hommages. Les fluxions qui me privaient de la vue ne me laissaient pas d’espérances ; mais enfin elles ont fait avec moi une trêve dont je profite. Mes yeux s’intéressent toujours bien vivement aux yeux de la grande maîtresse des cœurs. Je les ai quittés malades, et malheureusement il y a plus de douze ans que je les ai quittés, en m’arrachant à ce château dans lequel il serait si doux de passer sa vie. Je ne sais si Votre Altesse sérénissime prend quelque part à ce qu’on appelle les troubles de Genève. Ces troubles sont fort pacifiques : les Genevois sont malades d’une indigestion de bonheur. Leurs petites querelles n’aboutissent qu’à de mauvaises brochures qu’eux seuls peuvent lire. Quand il s’élève quelque dispute en Allemagne, elle est plus sérieuse, et il en coûte ordinairement deux ou trois cent mille hommes.

L’ambassadeur de France en Suisse arrive dans quelques jours à Genève avec dix cuisiniers, qui seront plénipotentiaires. Je suis un peu plus intéressé au procès que M. le duc de Wurtemberg a aujourd’hui avec ses états. J’ignore quel en sera le résultat. Heureux les princes qui n’ont point à combattre leurs parlements, et qui sont adorés de leurs sujets. Cela fait songer à la Thuringe. Daignez, madame, agréer mes vœux et mon profond respect pour Votre Altesse sérénissime et pour toute l’auguste branche Ernestine.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Les Lettres sur les miracles.