Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6190

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 142-143).

6190. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Au château de Ferney, 17 décembre 1765.

Madame, je ne saurais voir finir cette année sans souhaiter les plus nombreuses et les plus heureuses à Votre Altesse sérénissime, à toute votre auguste famille, et à la grande maîtresse des cœurs. Il y a plus de douze ans que je vis dans ma retraite, et il y a tout juste ce temps-là que je regrette les plus agréables moments de ma vie. Ma vieillesse et mes maladies ne me permettent pas de me mettre aux pieds de Notre Altesse sérénissime aussi souvent que je le voudrais ; mais le cœur n’y perd rien ; il est toujours plein de vos bontés ; je m’informe, à tous les Allemands qui voyagent dans nos cantons, de votre santé et de tout ce qui vous intéresse. J’ignore actuellement si vous n’avez point eu quelque ressentiment d’une incommodité passagère, dont vous me parliez dans la dernière lettre dont vous m’avez honoré. Je pardonnerai tous mes maux à la nature, si votre personne en est exempte.

Le roi de Prusse a eu quelques atteintes assez violentes, mais il se conserve par un grand régime. Il me fait l’honneur de m’écrire quelquefois ; mais je n’ai plus la santé et la force nécessaires pour soutenir un tel commerce. J’applaudis toujours au service qu’il a rendu au nord de l’Allemagne ; sans lui vous auriez peut-être des jésuites et des capucins dans la Thuringe, ce qui est pire à la longue que des housards. Je ne sais par quelle fatalité la partie méridionale de l’Allemagne est plongée dans la plus plate superstition, tandis que le nord est rempli de philosophes. Genève est bien changée depuis quelques années. Calvin ne reconnaîtrait pas sa ville.

Que Votre Altesse sérénissime daigne toujours agréer avec bonté mon très-tendre respect.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.