Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6125

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 76-77).

6125. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
2 octobre.

À peine le petit prêtre a-t-il reçu les roués de la part de ses divins anges qu’il s’est mis sur-le-champ à faire ce que lesdits anges ont prescrit, excepté à la scène d’Octave et de Julie. Le pauvre diable confesse qu’il ne peut réchauffer cette scène, et il dit qu’il lui est impossible de faire d’Octave un amoureux violent. L’impuissance dont il convient lui fait beaucoup de peine ; mais il dit que c’est le seul vice dont on ne peut pas se corriger.

Ce malheureux prêtre renverra, le plus tôt qu’il pourra, ses roués, avec l’honnête préface convenable en pareil cas.


· · · · · · · · · · · · · · · Le temps ne fait rien à l’affaire[1].


Il compte sur les gens qui aiment l’histoire romaine : mais comme il y en a beaucoup plus qui aiment l’opéra-comique, il n’espère pas un succès prodigieux.

Pour moi, j’attends Adèlaïde, et je la renverrai aussi avec sa préface, car il me semble qu’elle en mérite une.

Je ne savais point que Clairon eût manqué à mes anges, quand je lui fis, je ne sais comment, des vers hexamètres[2] comme pour une héroïne romaine ; mais elle avait si bien joué Électre, elle avait été si fêtée par tout le pays, elle avait été si honnête et si polie, que j’en fus enquinaudé.

On dit qu’il n’est pas bien sûr que l’on donne à Fontainebleau toutes les fêtes qu’on préparait.

J’ai écrit un petit mot de félicitation à M. Hénin[3]. M. le duc de Praslin ne pouvait faire un meilleur choix ; ce sera un homme de bonne compagnie de plus dans notre petit canton allobroge. J’adressai ma lettre à M. de Saint-Foix[4], ne sachant pas si M. Henin est à Paris.

Le plaisant secrétaire d’ambassade que Jean-Jacques ! Voilà un étrange original ; c’est bien dommage qu’il ait fait le Vicaire savoyard. La conversation de ce vicaire méritait d’être écrite par un honnête homme.

J’ai vu, depuis peu, des fatras d’instructions pastorales, d’arrêts contre les instructions, d’arrêts contre les arrêts[5], et de lettres contre les arrêts, et de lettres sur les miracles de Jean-Jacques, et j’ai conclu qu’une tragédie est plus touchante, et que ce qui plaît aux dames est plus agréable ; et j’ai dit dans mon cœur : Il n’y a de bon[6] que de souper avec ses amis, et de se réjouir dans ses œuvres ; et j’ai surtout ajouté que la consolation de la vie consiste à être un peu aimé de ses divins anges, ces divins anges à qui je n’ai pas l’honneur d’écrire de ma main, attendu que je suis retombé dans mes malingreries ; et je ne m’en mets pas moins à l’ombre de leurs ailes.

  1. Misanthrope, acte I, scène ii.
  2. Épître à mademoiselle Clairon ; voyez tome X, année 1765.
  3. Lettre 6122.
  4. Je crois qu’il ne s’agit pas ici de Saint-Foix, auteur des Essais sur Paris, mais de Radix de Sainte-Foy, trésorier général de la marine, ou de quelqu’un de ses parents, qui doit être aussi celui dont Voltaire parle dans sa lettre à d’Argental, du 18 avril 1766. On n’a du reste aucune lettre de Voltaire, soit à Saint-Foix, soit à Sainte-Foy. (B.)
  5. Sans doute les condamnations dont il est parlé tome XXV, page 345.
  6. l’Ecclésiaste, chap. iii, verset 22 : « Et deprehendi nihil esse melius quam lætari hominem in opere suo, et hanc esse partem illius. »