Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6080

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 37-39).

6080. — À M. LE MARQUIS DE VILLETTE.
5 auguste (car je n’aime pas mieux août que cul-de-sac
cela est trop welche).

Les inflammations de poitrine, monsieur, nuisent beaucoup au commerce des lettres. J’en ai eu une dont les restes ne sont point du tout plaisants. Sans cela, votre jolie lettre du 4 juillet, vos très-agréables vers, votre charmante imagination, m’auraient animé ; et je vous aurais dit, il y a un mois, tout ce que j’ai sur le cœur.

Je vous trouve une des plus aimables créatures qui respirent : mais en même temps je vous trouve une des plus sages d’avoir un peu arrêté l’indiscrétion de ces bons amis qui disent du bien de vous pour de l’argent. Je les attends à une épître dédicatoire. M. de La Touraille, qui est d’une volée un peu différente, m’a écrit sur votre compte des choses qui ont bien flatté mon goût. Il vous aime, et il est digne de vous aimer. Vous avez là un bon second auprès de M. le prince de Condé.

Je suis enchanté que vous n’aimiez pas trop le public, et que vous aimiez beaucoup vos terres. Voilà qui est vraiment philosophe :


Vous connaissez très-bien vos gens,
C’est un précieux avantage,
Et bien rare dans les beaux ans :
Votre esprit vous a rendu sage.
Si je le suis, c’est par mon âge,
Et je me suis trompé longtemps.


Mlle Clairon est chez moi : il y avait dix-sept ans que je ne l’avais vue. Elle n’était pas alors ce qu’elle est aujourd’hui : elle a créé son art. Elle est unique : il est juste qu’elle soit persécutée à Paris.

Tout ce que vous m’avez appris, et tout ce qu’on m’a dit, augmente ma passion pour ma retraite ; celle de vous y revoir est à son comble.

Permettez que je confie à vos bontés ce billet pour frère d’Alembert.

Il me mande[1] que la Bible et le Martyrologe vous sont très-familiers. Vous avez soutenu devant lui avec courage et bienséance les attaques du prédicateur qui me hait encore plus qu’il n’aime le grand Arnaud et le grand Rousseau. Sans doute j’ai nié l’enfer des Égyptiens ; je me suis un peu moqué des charlatans qui ont inevnté la roue d’Ixion ; mais j’ai toujours fait grand cas des inventeurs de la police. J’estime qu’un cavalier de maréchaussée impose plus lui seul que les trois furies et le vautour de Prométhée.

Je vous sais encore meilleur gré de savoir par cœur des pages entières de mon Siècle de Louis XIV. Vous me donnez une grande idée de ma prose. Mais ne répondez plus, je vous en prie, à ces vieilles redites. Je n’ai point fait un dieu de celui à qui j’ai reproché son despotisme, son ostentation, sa femme et son confesseur. Rien de si facile que de louer ou de blâmer à outrance un roi qui a doublé la force et la grandeur de la monarchie, laissé des monuments dignes de la Grèce et de Rome, brûlé les camisards, et donné son cœur aux grands jésuites.

  1. D’Alembert n’en dit rien dans sa lettre du 16 juillet (n° 4451), où il parle de Villette. Il manque donc une lettre de d’Alembert.