Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6074

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 32-34).

6074. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
28 juillet.

Nous avons été confondus, mes divins anges, de votre lettre du 18 de juillet. Le paquet que le jeune homme vous avait envoyé[1] était adressé à M. le duc de Praslin ; il contenait l’ouvrage de ce pauvre petit novice. J’y avais joint une grande lettre que je vous écrivais, avec un mémoire pour M. de Calonne, accompagné de l’original de l’inféodation des dîmes de Ferney, et de la preuve que ces dîmes ont toujours appartenu aux seigneurs. Tout cela formait un paquet considérable, et on croyait que le nom de M. le duc de Praslin serait respecté. S’il n’avait été question que de l’ouvrage du jeune homme, on n’aurait pas manqué de l’envoyer tout ouvert, ce paquet seul pouvant être pour lui comme pour vous ; mais on avait, par discrétion, adressé le tout à votre nom, pour ne pas abuser de celui de M. de Praslin, jusqu’au point de le charger de mes mémoires pour le rapporteur des dîmes de Genève et des miennes. Nous n’avions abusé que de vos bontés ; ce sont nos précautions qui ont occasionné l’ouverture du paquet, et probablement aussi l’ouverture d’un autre que je vous adressai huit jours après. Ce dernier[2] contenait des pièces essentielles sur le procès des Sirven, que vous voulez bien protéger : elles étaient pour M. Élie de Beaumont, qui vous fait quelquefois sa cour. Je ne doutais pas, encore un fois, que ces deux paquets à l’adresse de M. le duc de Praslin ne fassent en sûreté.

Je crains aujourd’hui que ceux de M. de Calonne ne soient perdus aussi bien que ceux de M. de Beaumont.

J’ose vous supplier de m’informer de ce que ces paquets vous ont coûté ; j’espère qu’on vous rendra votre déboursé. Je suis à vos pieds, et je rougis de tous les embarras que je vous cause ; mais les papiers pour MM. de Calonne et de Beaumont sont si essentiels que je ne balance pas à vous supplier de vous faire informer s’ils ont été reçus. Il se peut que les commis de la poste aient décacheté la première enveloppe, et qu’ils aient envoyé les paquets à leurs adresses respectives ; il se peut aussi qu’ils ne l’aient pas fait, et que tout soit perdu ; en ce cas, j’en serais pour mes dîmes, et Sirven pour son bien et pour sa roue. Pardonnez à mon inquiétude, et agréez la confiance que j’ai en vos bontés.

Cette aventure m’afflige d’autant plus qu’on m’apprend l’affaire désagréable que Beaumont essuie d’une grande partie de ses prétendus confrères, et je ne sais encore comment il s’en est tiré.

On me dit dans ce moment que l’infant est mort de la petite vérole naturelle[3], après avoir sauvé son fils par l’artificielle. Je me flatte que cette mort funeste ne changera rien à votre état, et que vous serez ministre[4] du fils comme du père. Je suis si affligé, et d’ailleurs si malade et si faible, que je n’ai pas le courage de vous parler de votre jeune homme. J’avais une cinquantaine de corrections à vous l’aire tenir de sa part ; ce sera pour une autre occasion. Vous pouvez compter qu’il songera très-sérieusement à tout ce que vous lui faites l’honneur de lui dire ; il est aussi docile à vos avis que sensible à vos bontés.

Nous avons ce soir Mlle Clairon. J’aurais bien d’autres choses à vous communiquer, mais vous savez qu’on est privé de la consolation d’ouvrir son cœur. Respect et tendresse.

  1. Celui dont il est question dans la lettre 6066.
  2. Celui dont, il est question dans la lettre 6073.
  3. Le 18 juillet 1765 ; voyez la note, tome XXV, page 196.
  4. D’Argental était ministre plénipotentiaire de Parme près la cour de France.