Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6015

Correspondance de Voltaire/1765
Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 553-554).

6015. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 mai.

Mes divins anges ne sont-ils occupés que de l’histoire du jour, et n’ont-ils fait aucune attention à l’histoire ancienne ? Je ne reçois point de nouvelles d’eux, ce qui est une histoire du jour fort triste pour moi. J’ignore s’ils ont reçu le dernier paquet ; je ne me souviens pas si je l’ai envoyé sous le couvert de M. le duc de Praslin, ou sous un autre. Je ne demande point de nouvelles de Mlle Clairon, Mme d’Argental s’en remet à Mme de Florian ; mais je persiste toujours dans l’idée que les comédiens doivent proposer un dilemme dont on ne peut pas se tirer : « Si nous ne jouons pas, on nous met au For ou au Four de l’Évêque ; et si nous jouons, l’évêque nous excommunie, et nous sommes enterrés comme des chiens. » Qu’on se retire de cette difficulté si on peut.

Le Siège de Calais a perdu à cette belle affaire ; il n’est pas même traîné actuellement en blocus. On l’a abandonné jusqu’en province ; je n’ai jamais vu une révolution si subite. On l’avait imprimé partout, sur la foi du Mercure et de l’enthousiasme de Paris ; à peine a-t-on pu le lire. Cette aventure est un peu welche.

M. de Villette, qui a passé trois mois chez moi, doit être actuellement à Paris. Il y recevra le paquet dont vous avez eu la bonté de vous charger.

M. de Fontette m’a fait l’honneur de m’écrire, mais ne m’a pas donné de grandes espérances. Si malheureusement j’étais obligé de plaider au parlement contre mon prêtre, je jure Dieu que je mourrais avant que le procès fût jugé.

Je crois que je suis aussi dans la disgrâce du tyran du tripot, mais je me console très-aisément ; et tant que mes anges daigneront m’aimer, je défie le reste des humains de troubler mon repos. Je les supplie de me mettre aux pieds de M. le duc de Praslin, très-indépendamment de mon curé.

Respect et tendresse.