Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5973

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 516-517).

5973. — À M. NOVERRE.
Du château de Ferney, 2 avril.

J’ai reçu le comte de Fé***[1], monsieur, avec tous les égards dus à sa naissance et à son mérite ; vous l’aviez sûrement instruit de toutes mes infirmités, et du délabrement affreux de mon estomac : il m’a fait présent d’un spécifique délicieux, cinquante demi-bouteilles de vin de Tokay, tel que j’en buvais jadis chez le grand philosophe du Nord[2].

J’ai lu et relirai encore avec un nouveau plaisir vos deux lettres sur Garrick[3] ; vous êtes un excellent peintre, et s’il était possible de peindre une ombre, je vous prierais de faire mon portrait.

Je reçois à l’instant une lettre de notre ministre à la cour de Bavière ; il me dit que Garrick y est aussi, que l’électeur le fête et le comble de distinction ; les égards que les princes accordent au vrai mérite les honorent bien plus que celui qui en est l’objet.

Notre ministre m’assure que Garrick court après vous, qu’il dirige sa route sur Louisbourg : au nom de l’amitié, conduisez-le à Ferney, qu’il vienne y voir le vieux malade ; le duc vous aime et m’estime, il ne vous refusera pas un congé. Le plaisir de rassembler dans mon ermitage le Roscius et le Pylade moderne me rajeunira, et fera disparaître mes infirmités. Je vous attends avec l’impatience de la vieillesse, et vous assure, monsieur, de tous les sentiments que je vous ai voués, et avec lesquels je suis, etc.


Voltaire.

  1. Probablement Fékété, seigneur hongrois.
  2. Frédéric II, roi de Prusse.
  3. Elles sont à la suite de la traduction française de la Vie de Garrich, in-12.