Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5955


5955. — À M.  LE MARQUIS DE VILLETTE PÈRE[1].
Au château de Ferney, par Genève, 22 mars.

Ayant l’honneur, monsieur, de posséder monsieur votre fils dans ma chaumière, au pied des Alpes, j’ai cru que vous trouveriez bon que je saisisse cette occasion de vous faire souvenir de moi. Je croirais manquer à mon devoir si je ne vous disais pas combien monsieur votre fils m’a paru pénétré pour vous de la tendresse respectueuse qu’il vous doit. J’ai été charmé de trouver tous les sentiments honnêtes dans son cœur avec le mérite et les grâces de son esprit. J’ai peut-être abusé un peu du privilège de ma vieillesse en prenant la liberté de lui parler de la faute qu’il a pu commettre ; mais il m’a prévenu, et plus il la sent, moins vous la sentirez.

Il se dit que vos bontés pour lui, sa place, cette aventure même, exigent de lui la conduite la plus sage ; il a de trop bonnes qualités pour ne les avoir pas toutes. Oserai-je vous dire, monsieur, que c’est quelquefois un grand bonheur d’avoir fait quelques fautes dans sa jeunesse ? On en connaît mieux le prix de ses devoirs. Le premier de tous est de mériter les bontés et la tendresse d’un père tel que vous, et j’oserais vous répondre que c’est un devoir qui ne lui coûtera jamais d’efforts. Le fond de son caractère, qui répond à ses dehors aimables, m’annonce le plaisir que vous aurez de le revoir et la douleur que j’aurai de le perdre.

Je vous souhaite une santé affermie et une vie aussi longue qu’elle doit être heureuse.

J’ai l’honneur d’être, avec les plus respectueux sentiments, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.