Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5932

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 481-482).

5932. — À M.  BORDES[1].
À Ferney, 4 mars.

Ah ! monsieur, vous voyez bien que Jean-Jacques ressemble à un philosophe comme un singe ressemble à l’homme ; il me paraît que ses livres et lui ont été reconnus sous le masque. On est revenu de ses sophismes, et sa personne est en horreur à tous les honnêtes gens qui ont approfondi son caractère. Quel philosophe qu’un brouillon et qu’un délateur ! Comment a-t-on pu imaginer que les Corses lui avaient écrit ? Je vous assure qu’il n’en est rien[2] ; il ne lui manquait que ce nouveau ridicule. Abandonnons ce malheureux à son opprobre. Les philosophes ne le comptent point parmi leurs frères.

Vous voyez bien que j’ai eu raison de détruire mon théâtre, puisque je n’ai point votre comédie. Je fais bâtir des chambres au lieu de loges. Ne serai-je jamais assez heureux pour vous en voir occuper une, et pour tous dire du fond de mon cœur à quel point je vous estime et je vous aime ?

Il me sera impossible d’aller à Lyon ce carême ; je suis entouré d’ouvriers. Ma petite colonie de Ferney demande tous mes soins, et ma misérable santé ne me permet plus les voyages.

Adieu, monsieur ; conservez-moi une amitié dont je sens bien vivement tout le prix.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Voltaire se trompe. Buttafuoco lui avait écrit.