Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5925

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 468-469).

5925. — À M. DAMILAVILLE.
27 février.

Mon cher frère, j’ai oublié, dans mes lettres, de vous demander quel est l’honnête homme qui veut avoir le recueil de mes bagatelles. Voulez-vous bien joindre à toutes vos bontés celle de faire acheter un exemplaire chez l’enchanteur Merlin, et de mettre cette petite dépense sur le compte de ce que je vous dois ?

J’apprends que la pièce de mon ami De Belloi a beaucoup de succès ; je souhaite qu’elle soit aussi pathétique que le mémoire de M. de Beaumont ; ce serait bien là le cas de crier : L’auteur ! l’auteur ! Pour moi, si j’étais à l’audience quand on jugera les Calas, je crierais : Beaumont ! Beaumont !

Voici un petit billet[1] que j’ai l’honneur de lui écrire. Permettez que j’y ajoute ma réponse à M. Berger[2], qui s’est avisé de m’écrire, au bout de trente ans, au sujet de mes prétendues Lettres secrètes. Dieu merci, on les a renvoyées en Hollande.

M. Blin de Sainmore me parle d’une édition de Racine avec des commentaires, qu’on entreprend par souscription. On ne me dit point quel est l’auteur de ces commentaires[3], mais je souscris aveuglément.

Tous les honnêtes gens de Genève regardent Jean-Jacques comme un monstre. Pour moi, je ne le regarde que comme un fou ; je le crois malheureux à proportion de son orgueil, c’est-à-dire qu’il est l’homme du monde le plus à plaindre.

On dit que Fréron est au For-l’Évêque ; si cela est, absolvit nunc pœna deos[4].

Je me suis informé exactement des papiers qu’on vous avait envoyés de Franche-Comté ; je peux vous répondre par la poste, et sous l’enveloppe de M. Raymond, directeur des postes à Besançon. Apparemment qu’il y a dans ce monde des harpies qui mangent le dîner des philosophes. Je deviens bien faible, mais mon zèle devient tous les jours plus fort. Mon regret, en mourant, sera de n’avoir pu crier avec vous, dans un souper : Écr. l’inf…

Bonsoir, mon très-cher frère.

  1. La lettre qui précède, n° 5924.
  2. Lettre 5923.
  3. C’était Blin de Sainmore, qui les vendit 2,400 livres à Luneau de Boisgermain, sous le nom duquel ils parurent en 1768, dans une édition des Œuvres de J. Racine, en sept volumes in-8o.
  4. Claudien, dans son poëme in Ruffinum, a dit, livre Ier :

    Abstulit hunc tandem Ruffini pœna tumultum,
    Absolvitque deos.