Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5852


5852. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
À Ferney, 21 décembre.

J’ai reçu, par la poste, monsieur, l’énorme poignée de verges de l’Aristarque et du Zoïle d’Italie[1] ; mais, dans l’état où sont mes yeux, il leur est impossible de lire cet ouvrage : mes fluxions me sauvent de la frusta. C’est une chose prodigieuse que le nombre de journaux dont l’Europe est inondée. La rage d’imprimer des livres, et d’imprimer son avis sur les livres, est montée à un tel point qu’il faudrait une douzaine de bibliothèques du Vatican pour contenir tout ce fatras. Les belles-lettres sont devenues un fléau public. Il n’y a d’autre parti à prendre que d’en user avec les livres comme avec les hommes ; de choisir quelques amis dans la foule, de vivre avec eux, et de se soucier très-peu du reste.

Mon malheur sera toujours d’avoir vécu loin d’un ami aussi respectable que vous. Ce qui me fait le plus regretter la perte de mes yeux, c’est de ne pouvoir plus lire l’Arioste ; mais je regrette votre société bien davantage.

  1. Baretti : voyez lettre 5807.