Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5784

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 340-341).

5784. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
8 octobre.

Mme de Florian vous remettra, madame, le livre que vous demandez, presque aussitôt que vous aurez reçu cette lettre. Vous verrez bien aisément quelle injustice l’on me fait de m’attribuer cet ouvrage ; vous connaîtrez que c’est un recueil de pièces écrites par des mains différentes. Il est d’ailleurs rempli de fautes d’impression et de calculs erronés qui peuvent faire quelque peine au lecteur. Il y a quelques chapitres qui vous amuseront, et d’autres qui demandent un peu d’attention. Si vous lisez le Catèchisme des Japonais[1], vous y reconnaîtrez aisément les Anglais ; vous y verrez d’un coup d’œil que les Breuxhé sont les Hébreux ; les pipastes, les papistes ; Therlu[2] et Vincal, Calvin et Luther ; et ainsi du reste.

Je vous exhorte surtout à lire le Catéchisme chinois[3], qui est celui de tout esprit bien fait. En général, le livre inspire la vertu, et rend toutes les superstitions détestables.

C’est toujours beaucoup, dans les amertumes dont cette vie est remplie, d’être guéri d’une maladie affreuse qui ronge le cœur de la plupart des hommes, et qui conduit au tombeau par des chemins bordés de monstres.

J’ai été si malade depuis deux mois, madame, que je n’ai pu aller une seule fois chez Mme de Jaucourt. Je crois vous avoir déjà mandé[4] que j’avais renoncé à tout ce qu’on appelle devoirs, comme à tout ce qu’on nomme plaisirs.

Je prie M. le président Hénault de souffrir que je ne le sépare point de vous dans cette lettre, et que je lui dise ici que je lui serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie. Il voit mourir tous ses amis les uns après les autres : cela doit lui porter la tristesse dans l’âme, et vous devez vous servir l’un à l’autre de consolation.

Un redoublement de mes maux, qui me prend actuellement, me remet dans mon lit, et m’empêche de dicter plus longtemps combien je suis dévoué à tous deux. Recevez ensemble les protestations bien sincères de mes tendres sentiments, et conservez-moi des bontés qui me sont bien précieuses.

  1. Voyez tome XVIII, page 81.
  2. Dans le Dictionnaire philosophique il y avait et il y a pispates et Terluh ; voyez tome XVIII, pagre 83.
  3. Voyez tome XVIII, page 60.
  4. Je ne crois pas qu’il l’ait déjà mandé à Mme du Deffant, à moins que ce ne soit dans une lettre qui ne nous est pas parvenue. (B.)