Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5776

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 331-332).

5776. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
1er octobre.

Le petit ex-jésuite qui me vient voir souvent m’a dit aujourd’hui : « Je ne suis point content du monologue[1] qui finit le troisième acte ; je deviens tous les jours plus difficile, à mesure que j’avance en âge et que j’approche de la majorité. Voici donc une nouvelle scène que je vous supplie de présenter à vos anges ; il est aisé de la substituer à l’autre. Je suis un peu guéri des illusions de l’amour-propre, tout jeune que je suis ; mais je m’imagine qu’on pourrait facilement obtenir de messieurs les premiers gentilshommes de la chambre que le drame fût joué à Fontainebleau. Une de mes craintes est qu’il ne soit mal joué ; mais il faut se servir de ce qu’on a. »

Ô mes anges ! j’avoue que je n’ai prêté qu’une attention légère au discours de notre prêtre. J’avais la cervelle tout entreprise d’une requête de nos petits états au roi, pour obtenir la confirmation des lettres patentes de Henri IV, enregistrées au parlement de Dijon, en faveur des dîmes de notre pays. Je me conforme en cela aux vues et aux bontés de M. le duc de Praslin, et je me flatte qu’un curé ne tiendra pas contre Henri IV et Louis XV.

Je gémis toujours devant Dieu de l’injustice criante qu’on me fait de m’attribuer un Portatif ; vous savez quelle est mon innocence. Je me suis avisé d’écrire, il y a quelques jours, une lettre à frère Marin[2], adressée tout ouverte chez monsieur le lieutenant général de police. Dans cette lettre je le priais d’empêcher un scélérat de libraire, nommé Besongne, natif de Normandie, d’imprimer l’infernal Portatif ; je ne sais si frère Marin a reçu cette lettre. En attendant, je trouve vos conseils divins, et je vais engager l’auteur à vous envoyer un Portatif raisonnable, décent, irréprochable, et même un peu pédantesque ; et si frère Marin n’était pas riche, si on pouvait lui proposer de tirer quelque avantage de l’impression, cela ne serait peut-être pas mal avisé. J’en ai parlé à l’auteur, qui est proche parent de l’ex-jésuite ; en vérité ils sont tout à fait dociles dans cette famille-là ; il lui a dit qu’il s’allait mettre à travailler, tout malade qu’il est. Cet auteur s’appelle Dubut ; mais il a encore un autre nom ; il a étudié en théologie, et possède Tertullien sur le bout du doigt. Ce serait bien là le cas de donner les roués[3] ; il est bon de faire des diversions.

Je baise le bout des ailes de mes anges en toute humilité, avec la plus vive reconnaissance.

  1. On n’a aucune variante de cette scène vii du troisième acte du Triumvirat.
  2. Elle manque.
  3. Le Triumvirat.