Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5763

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 318-319).

5763. — À M.  DAMILAVILLE.
19 septembre.

Mon cher frère, je reçois votre lettre du 13, dans laquelle vous trouvez le procédé de la philosoplie du Nord bien peu philosophe[1], et en même temps un de nos confrères me demande un Dictionnaire philosophique pour elle ; mais je ne l’enverrai certainement pas, à moins que je n’y mette un chapitre contre des actions si cruelles. Ce dictionnaire effarouche cruellement d’autres criminels appelés les dévots. Je ne veux jamais qu’il soit de moi ; j’en écris sur ce ton à M. Marin, qui m’en avait parlé dans sa dernière lettre, et je me flatte que les véritables frères me seconderont. On doit regarder cet ouvrage comme un recueil de plusieurs auteurs fait par un éditeur de Hollande. Il est bien cruel qu’on me nomme : c’est m’ôter désormais la liberté de rendre service. Les philosophes doivent rendre la vérité publique, et cacher leur personne. Je crains surtout que quelque libraire affamé n’imprime l’ouvrage sous mon non ; il faut espérer que M. Marin empêchera ce brigandage.

[2]J’ai fait acheter le Portatif à Genève ; il n’y en avait alors que deux exemplaires. Le consistoire des prêtres pédants, sociniens, l’a déféré aux magistrats ; alors les libraires en ont fait venir beaucoup. Les magistrats l’ont lu avec édification, et les prêtres ont été tout étonnés de voir que ce qui eût été brûlé il y a trente ans est aujourd’hui très-bien reçu dans le monde. Il me paraît qu’on est beaucoup plus avancé à Genève qu’à Paris. Votre parlement n’est pas encore philosophe.

Je voudrais bien avoir les factums des capucins[3]. Mais pourquoi faut-il qu’il y ait des capucins ? Courage ! le royaume de Dieu n’est pas loin : les esprits s’éclairent d’un bout de l’Europe à l’autre. Quel dommage, encore une fois, que ceux qui pensent de la même manière ne soient pas tous frères ! que ne suis-je à Paris ! que ne puis-je rassembler le saint troupeau ! que ne puis-je mourir dans les bras des véritables frères ! Intérim, écr. l’inf…

  1. L’assassinat du prince Ivan.
  2. Dans la Correspondancs de Grimm, au lieu de ce qui termine cette lettre, on lit ce qui est à la fin de celle du 7 septembre, n° 5757.
  3. Il y avait discorde dans le couvent des capucins à Paris, entre les pères gardiens et définiteurs d’un côté, et les frères quêteurs de l’autre : ces derniers avaient publié un mémoire rempli de détails scandaleux. (B.)