Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5745
Vous avez probablement, divins anges, reçu le gros paquet adressé à M. le duc de Praslin. Vous devez être las des fatras de mon ex-jésuite. Il n’y a que vos excessives bontés, soutenues de l’amour du tripot, qui puissent combattre le dégoût que doit vous donner cette œuvre tant rapetassée. Pour moi, je n’en suis plus juge, et, à force de regarder, je ne vois plus rien. Monsieur l’ambassadeur persiste toujours dans son goût pour les roués ; mais il est, comme moi, chez des Allobroges ; et il se peut que dans la disette du bon il trouve le mauvais passable. On me mande que la pauvre Comédie française est déserte, et qu’il faut que vous vous en teniez dorénavant à l’Opéra-Comique. Vous êtes en tous sens dans le temps de la décadence. Continuez, ô Welches ! Je viens de lire deux nouveaux tomes de l’Histoire de France[1]. Maimbourg, Daniel, sont des Tite-Live en comparaison de cette rapsodie ampoulée. Tout est du même genre. Je ne veux plus rien écrire du tout, de peur que la maladie ne me gagne.
Est-il vrai que le marquis[2], frère de la marquise, n’a plus les bâtiments, et que tous les artistes le regrettent ? Les mémoires de ce fou de d’Éon[3] courent l’Europe. Nouvel avilissement pour les Welches.
Que faire ? cultiver son jardin, mais surtout conserver ses dîmes. Je vous implore contre la sainte Église.
- ↑ Villaret publia, en 1764, les tomes XII et XIV de l’Histoire de France commencée par Velly, et sur lesquels Voltaire envoya un article à la Gazette littéraire ; voyez tome XXV, page 209.
- ↑ De. Marigny, frère de Mme de Pompadour.
- ↑ Charles-Geneviève-Louise-Auguste-André-Timothée d’Éon de Beaumont, né à Tonnerre le 5 octobre 1728, mort à Londres le 21 mai 1810. Ses querelles avec, le comte de Guerchy faisaient beaucoup de bruit en 1764. Éon lui avait intenté un procès criminel au tribunal du roi d’Angleterre. (B.)