Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5709

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 272-273).

5709. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
12 juillet.

Mes divins anges, je suis plus affligé des rhumatismes dont vous me parlez que de la petite disgrâce de l’ex-jésuite[1]. Est-il possible que l’un de mes anges souffre ? Cela est bien injuste.

J’ai communiqué au petit défroqué l’histoire de son infortune ; il m’a demandé le secret. Il craint que, s’il était connu, cela ne l’empéchât d’avoir un bénéfice ; mais surtout il vous supplie de recommander le secret à M. de Chauvelin. Il vous demande une grâce, c’est de revenir en requête civile, et de hasarder deux ou trois représentations : car ce pauvre Poinsinet ayant protesté que le délit n’a pas été commis par lui, il se pourra que le public soit moins barbare. Un acteur pourrait annoncer que la pièce n’est point de celui à qui on l’attribuait, et qu’un jeune homme docile en étant l’auteur, et ayant fait quelques changements, on compte sur un peu d’indulgence. Je pense qu’alors l’ouvrage pourrait se relever. On ne risque rien à hasarder la révision. Voyez ce qui est arrivé à Oreste, et même à Zaïre. Vous pourriez, mes anges, en venir à votre honneur : car enfin, si vous croyez la pièce passable, il faut bien qu’elle le soit.

On ne pourra refuser à Lekain, qui a proposé la pièce, de la rejouer ; mais enfin, si la chose était impraticable, en ce cas, je vous supplierais de redemander à Lekain l’exemplaire, et de vouloir bien me le renvoyer pour ce pauvre ex-jésuite.

J’attends tous les jours des livres d’Italie ; je ne perds pas assurément de vue la Gazette littéraire.

N. B. Mes anges, ne vous découragez pas sur le drame de l’ex-jésuite, à moins que vous n’y ayez senti du froid, car à cette maladie point de remède.

  1. Le Triumvirat, représenté le 5 juillet, n’avait pas eu de succès.