Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5673

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 240-241).

5673. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 15 juin 1764.

Madame, mon ombre ne prend plus guère la liberté d’écrire à Votre Altesse sérénissime ; les années et les maladies s’opposent aux devoirs comme aux plaisirs. Je suis réduit à m’entretenir en silence du souvenir de vos bontés. Souffrez cependant, madame, que j’aie l’honneur de renouveler mes remerciements à Votre Altesse sérénissime au sujet de cette famille infortunée des Calas, si cruellement traitée à Toulouse et si généreusement secourue par votre bienfaisance. Vos bienfaits lui ont porté bonheur. L’arrêt inique et barbare des juges de Toulouse vient d’être cassé d’une voix unanime par tout le conseil d’État du roi. Jamais on n’a vu une plus éclatante justice après une si horrible iniquité.

Votre Altesse sérénissime s’occupe peut-être à présent de l’anarchie de la Pologne et de ses bons voisins. Je ne sais pas qui sera roi des Sarmates, mais je sais bien qu’il ne sera ni plus heureux ni plus aimé que Mme  la duchesse de Gotha l’est dans ses États. Il faut que ce nom de roi soit quelque chose de bien beau, puisqu’on l’achète à des conditions si gênantes.

Je me flatte que Votre Altesse sérénissime jouit de toutes les félicités qui ont manqué à tant de rois, santé, tranquillité, occupations douces qui ne laissent aucune inquiétude dans l’âme, assurance d’être aimée autant que respectée. Je mets surtout la grande maîtresse des cœurs parmi les causes de votre bonheur. Daignez, madame, me conserver des bontés qui font la consolation de ma vieillesse, et agréez mon profond respect pour Votre Altesse sérénissime et pour votre auguste famille.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.