Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5672

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 239-240).

5672. — À M. DAMILAVILLE.
Aux Délices, 13 juin.

Je serais curieux, mon cher frère, d’avoir un exemplaire du Supplément aux Welches[1] et je l’attends de vos bontés.

Cromwell[2] a-t-il subjugué les esprits à Paris comme en Angleterre ? a-t-il été un sublime fanatique, un respectable hypocrite, un grand homme abominable ? Campistron l’aurait fait tendrement amoureux de la femme du major-général Lambert.

Vous sentez, mon cher frère, combien la cassation de l’arrêt toulousain me ranime. Voilà des juges fanatiques confondus, et l’innocence publiquement reconnue. Mais que peut-on faire davantage ? pourra-t-on obtenir des dépens, dommages et intérêts ? pourra-t-on prendre le sieur David à partie ? Je vois qu’il est beaucoup plus aisé de rouer un innocent que de lui faire réparation.

Dites-moi, je vous prie, si la Gazette littéraire prend un peu de faveur. Il me semble que cette entreprise pourrait un peu nuire au commerce de maître Aliboron, dit Fréron. Je suis enfoncé à présent dans des recherches pédantesques de l’antiquité[3] Tout ce que je découvre dépose furieusement contre l’inf… Ah ! si les frères étaient réunis !

Je ne sais, mon cher frère, si vous avez donné un Corneille commenté à maître Cicéron de Beaumont[4] ; il doit en avoir un de préférence. N’est-il pas un des élus ? Permettez que je mette ici une lettre pour lui.

Il y a un M. Blin de Sainmore qui a fait un joli recueil de vers ; il lui faut un Corneille. Je voudrais bien que frère Thieriot me fît l’amitié de le voir, et de lui donner de ma part un exemplaire. Frère Thieriot pourrait l’engager à donner un supplément des fautes que je n’ai pas remarquées, et à faire en général quelques bonnes réflexions sur l’art dramatique : ce M. Blin de Sainmore en est très-capable.

Il y a encore un M. de Belloi qui a fait des tragédies, qui s’y connaît, qui aime Racine ; il demeure dans l’impasse, dit-il, des Quatre-Vents. Vous m’avouerez qu’un homme qui donne son adresse dans un impasse, et non dans un cul-de-sac, n’est pas welche, et mérite un Corneille. Il me parait essentiel d’en donner à ceux qui peuvent défendre le bon goût contre le préjugé.

Je vous supplie, mon cher frère, d’envoyer le petit billet ci-joint à M. Mariette[5] ; vous pouvez lui dire ou lui faire dire que quatre personnes lui en enverront chacune autant, et que je paye ma quote part le premier. Cela m’épargnera la peine d’écrire ; je n’ai pas de temps à perdre ; l’inf… m’occupe assez.

Je vous embrasse, mon cher frère ; je vous demande mille pardons de toutes les peines que je vous donne pour le Corneille. J’abuse excessivement de votre amitié.

  1. Supplément du Discours aux Welches, tome XXV, page 249.
  2. Voyez la note 2 de la page précédente.
  3. La Philosophie de l’Histoire, ouvrage publié en 1765, et qui, depuis 1769, forme l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs.
  4. Ce n’est pas l’archevêque Christophe de Beaumont, mais l’avocat Élie de Beaumont. La lettre dont Voltaire parle ici est perdue.
  5. M. Mariette ne voulut point recevoir le mandat ; il fut renvoyé à M. de Voltaire. (K.)