Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5599


5599. — À MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Ferney, 20 mars.

Madame, la bonté que Votre Altesse sérénissime a bien voulu témoigner dans l’aventure affreuse des Calas est une grande consolation pour cette famille désolée, et le secours que vous daignez lui donner pour soutenir un procès qui est la cause du genre humain est l’augure d’un heureux succès. Quand on saura que les personnes les plus respectables de l’Europe s’intéressent à ces innocents persécutés, les juges en seront certainement plus attentifs. Il s’agit de réhabiliter la mémoire d’un homme vertueux, de dédommager sa veuve et ses enfants, et de venger la religion et l’humanité en cassant un arrêt inique. Il est difficile d’y parvenir ; ceux qui, dans notre France, ont acheté à prix d’argent le droit de juger les hommes composent un corps si considérable qu’à peine le conseil du roi ose casser leurs arrêts injustes. Il a fallu peu de temps pour faire mourir Calas sur la roue, et il faut plusieurs années et des dépenses incroyables pour faire obtenir à la famille un faible dédommagement, que peut-être encore on ne lui donnera pas. Heureux, madame, ceux qui vivent sous votre domination ! Il est bien triste pour moi que mon âge et mes maux me privent de l’honneur de venir vous renouveler le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, madame, de Votre Altesse sérénissime, etc.