Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5591

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 157-158).

5591. — À M. MOULTOU[1].
(11 mars.)

Mes yeux vous sont très-obligés, mon cher monsieur. Voici une lettre que vous pouvez envoyer à Mme Calas, pour M. le marquis de Gouvernet.

Comptez que nous sommes tous des imbéciles. Ce n’est point avec des livres qu’on obtient des grâces de la cour, et l’apologétique de Tertullien ne fut pas lue seulement d’un marmiton de cuisine de l’empereur.

Les bons livres peuvent faire des philosophes, encore n’est-ce que chez les jeunes gens.

Les autres ont pris leur pli. C’est ce qui fait que M. de Crosne est entièrement pour nous, indépendamment même des formes juridiques. Mais il faut des formes à MM. d’Aguesseau et Gilbert, qui ne sont point du tout philosophes. Il faut auprès des ministres de très-grandes protections, et point de livres. Un bon ouvrage peut porter son fruit dans quinze ou vingt ans, mais aujourd’hui il s’agit d’obtenir la protection de Mme de Pompadour. Le grand point est d’intéresser son amour-propre à faire autant de bien à l’État que Mme de Maintenon a fait de mal. Je répondrais bien de sa bonne volonté et de celle de MM. les ducs de Choiseul et de Praslin ; mais avec tout cela, l’affaire ne serait pas encore faite, tant il est difficile de changer ce qui est une fois établi. C’est assurément une très-belle entreprise. Elle demande encore plus de soins que l’affaire des Calas.

Je mourrais bien content si j’avais mis une pierre à cet édifice.

Nous raisonnerons de tout cela avec M. Moultou, l’homme du monde que j’estime le plus, et en qui j’ai la plus grande confiance.

  1. Éditeur. A. Coquerel.