Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5556

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 120-121).

5556. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
7 février.

Voici deux Olympie rentrayées, je les mets sous les ailes de mes anges ; l’une sera pour Mlle Clairon, l’autre pour Lekain. Les changements ne regardent qu’eux, et il n’y a qu’un vers de changé pour le grand prêtre. J’ai cherché principalement à rendre le dialogue plus animé et plus intéressant. C’est cela seul qui fait le succès des pièces tragiques. Quand on intéresse, on a toujours raison.

Je joins à ce paquet un petit résumé que je fis, il y a quelque temps, de tous les motifs qui m’ont déterminé à ne point faire mourir Statira au cinquième acte. J’ai ce changement en horreur ; et on ne fait que des sottises quand on travaille en contredisant son goût : l’éloquence n’appartient qu’aux persuadés.

Mais encore une fois, pourquoi avoir abandonné la conspiration ? Vous étiez de si braves conjurés ! Vous avez molli. Je vois bien que M. le duc de Praslin ni vous n’avez l’âme assez noire.

Je ne savais pas qu’il y eût un Créqui qui fût philosophe et si plaisant. Il n’y a rien de comparable à son exploit ; j’en enverrai un tout pareil à mon curé, pourvu qu’il ne me vole pas mes dîmes.

Cette lettre fut commencée il y a environ quinze jours ; on s’est tué, depuis ce temps-là, à chercher des moyens d’accommoder l’affaire d’Olympie. On s’est aperçu que plus on y travaillait, plus on gâtait l’ouvrage. On a reconnu l’inutilité de ces efforts, et on envoie humblement ce qu’on peut. On y joint un petit mémoire de justification qui, s’il ne prouve pas qu’on a raison, prouvera du moins qu’on est stérile.

J’apprends que la Gazette littéraire a gagné son procès. J’ignore toujours ce qu’est devenu un paquet adressé pour moi à M. le Duc de Praslin, par M. de Guerchi, ou par M. d’Éon, dans le temps que j’avais encore des yeux, et que je pouvais servir.

Je crois que c’est aujourd’hui que M. le duc de Praslin a daigné rapporter notre cause contre le concile de Latran.

Je me mets toujours à l’ombre de ses ailes et de celles de mes anges.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.