Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5043

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 242-243).

5043. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, ce 22 septembre.

Jusqu’à présent il ne s’était trouvé qu’une voix dans le désert qui avait crié : Parate vias Domini[1]. Votre Mémoire est assurément l’ouvrage du maître : je ne sais rien de si convaincant et de si touchant. Mon indignation contre l’arrêt de Toulouse en a redoublé, et mes larmes ont recommencé à couler.

Je suis, convaincu que vous parviendrez à faire réformer l’arrêt de Toulouse. Votre conduite généreuse est digne de votre éloquence. Cette cruelle affaire, qui doit vous faire un honneur infini, achève de me prouver ce que j’ai toujours pensé, que nos lois sont bien imparfaites. Presque tout me paraît abandonné au sentiment arbitraire des juges. Il est bien étrange que l’ordonnance criminelle de Louis XIV ait si peu pourvu à la sûreté de la vie des hommes, et qu’on soit obligé de recourir aux Capitulaires de Charlemagne.

Votre Mémoire[2] doit désormais servir de règle dans des cas pareils. Le fanatisme en fournit quelquefois. J’ai lu trois fois votre ouvrage ; j’ai été aussi touché à la troisième lecture qu’à la première.

J’ajoute aux trois impossibilités que vous mettez dans un si beau jour, une quatrième : c’est celle de résister à vos raisons. Je joins ma reconnaissance à celle que les Calas vous doivent. J’ose dire que les juges de Toulouse vous en doivent aussi, vous les avez éclairés sur leurs fautes. Si j’avais le malheur d’être de leur corps, je leur proposerais, sur la seule lecture de votre factum, de demander pardon à la famille qu’ils ont perdue, et de lui faire une pension. Je les tiens indignes de leur place s’ils ne prennent pas ce parti.

L’estime que vous m’inspirez, monsieur, me met presque en droit de vous demander instamment votre amitié. Vous avez une femme digne de vous ; agréez mes respects l’un et l’autre, et tous les sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc.

  1. Isaïe, chap. xi, verset 3.
  2. Voyez-en l’intitulé, tome XXIV, page 366, n° iv.