Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4806

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 13-14).

4806. — À. M. DUCLOS.
Aux Délices, 20 janvier.

Ni le petit Mémoire[1], monsieur, que vous avez eu la bonté de communiquer à l’Académie, ni aucun des commentaires qu’elle a bien voulu examiner, ne sont destinés à l’impression : ce ne sont, je le répète encore, que des doutes et des consultations. Je demande les avis de l’Académie, pour pressentir le jugement du public éclairé, et pour avoir un guide sûr qui me conduise dans un travail très-épineux et très-pénible. Non-seulement je consulte l’Académie en corps, mais je m’adresse à des membres qui ne peuvent assister aux assemblées.

M. le cardinal de Bernis, par exemple, a présentement entre les mains mes doutes sur Rodogune, et je vous les enverrai dès qu’il me les aura rendus. Encore une fois, il s’agit d’avoir toujours raison, et je ne peux demander trop de conseils.

Je tâche d’égayer et de varier l’ouvrage par tous les objets de comparaison que je trouve sous ma main ; voilà pourquoi je rapporte la chanson des sorcières de Shakespeare[2], qui arrivent sur un manche à balai, et qui jettent un crapaud dans leur chaudron. Il n’est pas mal de rabattre un peu l’orgueil des Anglais, qui se croient souverains du théâtre comme des mers, et qui mettent sans façon Shakespeare au-dessus de Corneille.

J’ai une chose particulière à vous mander, dont peut-être l’Académie ne sera pas fâchée pour l’honneur des lettres. Vous savez que j’avais autrefois une pension : je l’avais oubliée depuis douze ans, non-seulement parce que je n’en ai pas besoin, mais parce que, étant retiré et inutile, je n’y avais aucun droit. Sa Majesté, de son propre mouvement, et sans que je pusse m’y attendre, ni que personne au monde l’eût sollicitée, a daigné me faire envoyer un brevet et une ordonnance. Peut-être est-il bon que cette nouvelle parvienne aux ennemis de la littérature et de la philosophie. Je me recommande toujours aux bontés de l’Académie, et je vous prie de me conserver les vôtres.

  1. Il appelle ainsi la lettre du 25 décembre ; voyez n° 4788.
  2. Voyez, tome XLI, page 564.