Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4768

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 545-546).

4768. — À M. L’ABBÉ IRAILH[1].
À Ferney, le 4 décembre.

Vous serez étonné, monsieur, de recevoir, par la petite poste de Paris, les remerciements d’un homme qui demeure au pied des Alpes ; mais j’ai éprouvé tant de contre-temps et d’embarras par la poste ordinaire que je suis obligé de prendre ce parti.

Vous vous occupez paisiblement, monsieur, des querelles des gens de lettres, pendant que les querelles des rois font un peu plus de tort à nos campagnes que toutes les disputes littéraires n’en ont fait au Parnasse. Il faut être continuellement en guerre, dans quelque état qu’on se trouve.

Je combats aujourd’hui contre les fermiers généraux, au nom de notre petite province ; il ne tiendra qu’à vous d’ajouter mes Mémoires sur le blé, le tabac et le sel, à toutes mes autres sottises.

Je me suis avisé de devenir citoyen, après avoir été longtemps rimailleur et mauvais plaisant. J’ennuie le conseil de Sa Majesté, au lieu d’ennuyer le public.

Il me semble que vous dites un petit mot du roi de Prusse dans l’Histoire des Querelles. J’avais remis mes intérêts à trois ou quatre cent mille hommes qui ne m’ont pas si bien servi que vous ; les Russes même m’ont manqué de parole au siège de Colberg[2]. Je dois vous regarder comme un de mes alliés les plus fidèles.

Mme Denis et moi, nous vous prions, monsieur, de faire mille compliments à toute notre famille : nous ne savons point encore les marches de Mme de Fontaine et de M. d’Hornoy, nous nous flattons d’en être instruits quand elle sera à Paris, en bonne santé. J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Irailh (Augustin-Simon), né en 1719.), mort en 1794, avait été prieur-curé de Saint-Vincent dans le diocèse de Cahors. Il est auteur des Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’Histoire des révolutions de le repubique des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours, 1761, quatre volumes in-12. Grand admirateur de Voltaire, il parle avec ménagement de ses ennemis. (B.)
  2. Colberg, défendue par le colonel Heyden, ne se rendit à Romanzow, général russe, que le 16 décembre 1761.