Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4751

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 528-529).

4751. — DU CARDINAL DE BERNIS.
De Montélimart, le 17 novembre.

J’attends avec la plus grande impatience, mon cher confrère, cette tragédie faite en six jours, et que vous trouvez si digne du sacré collège. Je répondrais du succès de cet ouvrage, précisément parce qu’il a été achevé aussitôt que projeté. Cela prouve que le sujet est heureux et bien choisi : cet avantage supplée souvent à tous, et n’est suppléé par rien. D’ailleurs, on sait qu’il vous faut moins de temps qu’à un autre pour bien faire. J’ai lu avec grand plaisir votre Épître sur l’Agriculture ; mais dans ces sortes d’ouvrages il est bon d’imiter Montaigne, qui laisse aller son imagination sans se soucier du titre que porte le chapitre qu’il traite. Malgré les beaux exemples que vous me citez, je n’irai point au temple d’Épidaure. Je le regretterai moins que les Délices, car j’ai plus besoin de la conversation d’un homme d’esprit que des conseils du meilleur médecin de l’Europe. Vos ducs, princes. et femmes dévotes, ont encore moins de ménagements à garder qu’un ancien ministre. Le duc de Villars s’est embarqué sur le Rhône, et n’a point passé à Montélimart. J’admire la fécondité et la jeunesse de votre esprit : cela prouve, outre le grand talent, une bonne santé. Lorsque le corps souffre, l’esprit est bien malade. Conservez longtemps votre gaieté, votre santé en sera plus ferme, et vos ouvrages en seront plus piquants et plus aimables. Il est inutile que je vous assure que je ne prendrai ni ne laisserai prendre de copie de votre tragédie. Adieu, mon cher confrère ; je vous aime presque autant que je vous admire.