Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4706

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 475-476).

4706. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Ferney, 10 octobre.

Les ermites de Ferney présentent leurs hommages aux hôpitaux de Versailles. Nous n’avons jamais si bien mérité le nom d’ermites. J’ai cédé depuis deux mois les Délices à. M. le duc de Villars. J’ai eu quelque temps M. le comte de Lauraguais[2], et à présent je suis tout à Corneille. L’entreprise est délicate ; il s’agit d’avoir raison sur trente-deux pièces : aussi je consulte l’Académie toutes les postes, et je soumets toujours mon opinion à la sienne. J’espère qu’avec cette précaution l’ouvrage sera utile aux Français et aux étrangers. Il faut se donner le plus d’occupation que l’on peut pour se rendre la vie supportable dans ce monde. Que deviendrait-on si on perd son temps à dire : Nous avons perdu Pondicliéry, les billets royaux perdent soixante pour cent, les particuliers ne payent point, les jésuites font banqueroute ? Vous m’avouerez que ces discours seraient fort tristes. Je prends donc mon parti de planter, de bbâtir, de commenter Corneille, et de tâcher de l’imiter de loin, le tout pour éviter l’oisiveté.

Vous souvenez-vous, mon cher ami, que j’eus, il y a quelques années, une petite discussion avec MM. les intendants des postes au sujet d’un assez gros paquet que vous m’aviez envoyé ? J’ai peur qu’ils ne m’aient joué à peu près cette année le même tour dont je me plaignis alors. Je vous envoyai deux paquets, il y a quelques mois, pour Mme de Fontaine ; vous m’accusâtes la réception de l’un, vous ne m’avez jamais parlé de l’autre, et il est vraisemhlable que Mme de Fontaine n’a reçu aucun des deux. En tout cas, il n’y a pas grand mal, car ce n’étaient que des rogatons.

Adieu ; nous vous embrassons. Si vous rencontrez quelques dévots dans votre chemin, dites-leur que j’ai achevé mon église, et que le pape m’a envoyé des reliques ; et si vous rencontrez des gens aimables, dites-leur que j’ai achevé mon théâtre.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. C’est le généreux amateur de l’art dramatique, qui donna 50,000 francs aux comédiens pour débarrasser la scène des spectateurs qui l’encombraient et détruisaient l’illusion. (Note des premiers éditeurs.)