Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4688

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 452-453).

4688. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
Ferney, 21 septembre[1].

J’ai l’honneur d’envoyer à Mlle Clairon un petit avant-goût du commentaire que je fais sur les pièces du grand Corneille. La note ci-jointe est sur les dernières lignes de la préface de Théodore. Elle passera, s’il lui plaît, les citations latines du confesseur du pape Clément XII. Je crois qu’elle pourrait lire cette note à l’assemblée, qu’on pourrait même la déposer dans les archives, et en donner une copie à messieurs les premiers gentilshommes de la chambre. Je crois qu’il serait très-aisé d’obtenir de Sa Majesté une déclaration qui confirmerait celle de 1641, et qui maintiendrait ses comédiens dans la jouissance entière de tous les droits qui appartiennent à des citoyens. Ce mot entière dirait tout sans entrer dans aucun détail, et on en ferait usage dans l’occasion[2].

J’ai reçu une lettre de M. Huerne[3]. Je supplie Mlle Clairon de vouloir bien lui envoyer ma réponse[4], après l’avoir lue et cachetée. Elle pardonnera, s’il lui plaît, le peu de cérémonie de ce petit billet, attendu que le pauvre diable qui lui écrit n’est point du tout à son aise.

  1. C’est à tort que les éditeurs de cette lettre, MM. de Cayrol et François, l’ont classé à l’année 1763 ; elle est de 1761. (G. A.)
  2. Corneille dit, dans l’épître qui est au devant de Théodore, vierge et martyre : « Ce n’est pas contre des comédies pareilles au nôtres que déclame saint Augustin ; et ceux que le scrupule, ou le caprice, ou le zèle en rend opiniâtres ennemis n’ont pas grande raison de s’appuyer de son autorité. Il est juste que pour peine de la trop facile croyance qu’ils donnent à des invectives mal fondées, ils demeurent privés du plus agréable et du plus utile des divertissements dont l’esprit humain soit capable. »

    Voici la décision que Cerati, confesseur du pape, rendit sur cette question en 1742 : « Les conciles et le pape, qui ont condamne la comédie, entendaient les représentations obscènes, mêlées de sacré et de profane, la dérision des choses ecclésiastiques, etc. L’art des comédiens qui se contiennent dans les bornes n’est point condamnable, mais permis. On ne trouve aucune bulle ni aucun décret qui les condamnent. »

    La déclaration de Louis XIII, du 10 avril 1641, enregistrée au parlement, porte : « Nous voulons que l’exercice des comédiens, qui peut innocemment détourner nos sujets de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. »

    En vertu de cette déclaration, Louis XIV maintint Floridor, sieur de Soulas, dans la possession de sa noblesse, par arrêt du conseil du 10 septembre 1668.

    Les documents indiqués par Voltaire et sa note ont été déposés aux archives du Théâtre-Français, avec un procès-verbal où sont exprimés aussi les remerciements des comédiens. (Note des premiers éditeurs.)

  3. Huerne de la Mothe, avocat, auteur d’une consultation sur l’excomniunication des comédiens ; voyez tome XXIV, page 239.
  4. On n’a pas cette réponse.