Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4585

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 336-337).

4585. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
Aux Délices, 24 juin.

J’ai reçu, mon cher président, votre belle épître morale. Je vous dirai d’abord qu’il n’est point vrai que l’abbé d’Olivet ait quitté l’Académie française, ni qu’on l’ait appelé maraud[2]. Ce mot entre bien dans notre dictionnaire, mais non pas dans nos séances.

L’affaire de mon église de Ferney est plus sérieuse, car elle me ruine. Je me suis avisé de faire un portail d’une pierre aussi chère que le marbre, et plus difficile à tailler. L’official et le promoteur sont encore plus durs que cette pierre. Au lieu de me remercier et de m’encourager, ils ont commencé un procès avec autant d’ingratitude que d’impertinence. J’ai même des preuves ou du moins des semi-preuves qu’ils ont suborné des témoins. Mais je n’ai certainement rien à craindre, puisqu’un homme tel que M. de Quintin est procureur général de Bourgogne.

1° Je n’ai rien fait que de concert avec mon curé et les habitants, ayant préalablement l’agrément de l’évêque, il y a plus d’un an.

2° Si on avait manqué à quelques formalités (ce que je ne crois pas), c’était au promoteur et à l’official à en avertir amiablement. Ils ont manqué au devoir de l’honnêteté et au devoir de leur place.

3° Le prétendu official a instrumenté sans l’intervention du juge séculier, ce qui est un attentat contre les lois.

4° Il n’est pas plus official, et le promoteur n’est pas plus promoteur, que vous et moi. Il est défendu par les canons et par l’ordonnance du roi, de 1627, art. 14, qu’un curé fasse les fonctions d’official ou de promoteur. La raison en est bien sensible : il serait alors le juge de lui-même. Tout est donc irrégulier et répréhensible dans les procédés et procédures de ces Allobroges.

5° Toute cette affaire n’est que la suite des animosités qui ont divisé la province au sujet de l’assassinat dont un curé du pays a été accusé. Je crois qu’à la fin le parlement sera forcé d’envoyer des commissaires dans nos montagnes, au fin fond de la barbarie.

Venez me voir avec M. de La Marche ; il y aura toujours une messe pour lui, soit que mon église soit bâtie ou non. Mes respects à Mme de Ruffey. Nous aurons de quoi la loger si elle veut être du voyage.

Je vous parlerai[3] dans quelque temps d’une entreprise où il s’agit de l’honneur de la nation[4], et point du tout des barbares du pays de Gex. Vale. V.

J’ai pris la liberté d’envoyer des paquets sous l’enveloppe de M. de Varennes : le permet-il ?

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Sur la foi de Michault le bibliographe, M. de Ruffey avait mandé à Voltaire que Duclos avait traité de maraud l’abbé d’Olivet en pleine Académie. (Note du premier éditeur.)
  3. Cet alinéa et le suivant sont seuls de la main de Voltaire ; le surplus de la lettre n’est, point autographe. (Note du premier éditeur.)
  4. Édition de Corneille.