Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4577
On est bien loin, monsieur, d’être inconnu, comme vous le dites, quand on a fait d’aussi beaux vers[2] que vous, et surtout quand on y répand d’aussi nobles vérités, et des sentiments si vertueux. Vous pensez en excellent citoyen, et vous vous exprimez en grand poète. Je m’intéresse d’autant plus à la gloire que vous assurez à M. Laurent que je m’avise de l’imiter en petit dans une de ses opérations. Je dessèche actuellement des marais ; mais j’avoue que je ne fais point de bras. Cependant vous avez daigné parler de moi dans votre épître à cet étonnant artiste. J’avais déjà lu votre ouvrage qui a concouru pour le prix de l’Académie[3] ; je ne savais pas que je dusse joindre le sentiment de la reconnaissance à celui de l’estime que vous m’inspiriez. Je vous félicite, monsieur, d’être en relations avec M. Duverney. Il forme un séminaire de gens[4] dont quelques-uns demanderont probablement un jour à M. Laurent des bras et des jambes. La noblesse française aime fort à se les faire casser pour son maître.
Je fais aussi mon compliment à M. Duverney d’aimer un homme de votre mérite. Il en a trop pour ne pas distinguer le vôtre. Je me vante aussi, monsieur, d’avoir celui de sentir tout ce que vous valez. Recevez mes remerciements, non-seulement de ce que vous avez bien voulu m’envoyer vos ouvrages, mais de ce que vous en faites de si bons.
J’ai l’honneur d’être, etc.
- ↑ Jacques, fils naturel d’Antoine Montagnier, avocat, et de Marie-Hiéronyme Bérard, né le 22 juin 1738, prit le nom de Delille, et est connu sous le nom d’abbé Delille. Quoique sous-diacre et grand ennemi des idées nouvelles, il se maria, pendant la Révolution, en pays étranger, et mourut à Paris le 1er mai 1813. Sa veuve est morté à Paris en novembre 1831. (B.)
- ↑ Épître à M. Laurent, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, à l’occasion du bras artificiel qu’il a fait pour un soldat invalide ; Londres (Paris, Lottin), 1761. L’abbé Delille y dit :
Voltaire, tour à tour sublime et gracieux,
Peut chanter les héros, les belle, et les dieux. - ↑ Épître sur l’utilité de la retraite pour les gens de lettres.
- ↑ L’École militaire.