Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4539

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 292).

4539. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
4 mai.

Les divins anges auront de l’Oreste tant qu’ils voudront. J’ai relu les fureurs : je n’aime pas ces fureurs étudiées, ces déclamations ; je ne les aime pas, même dans Andromaque. Je ne sais ce qui m’est arrivé, mais je ne suis content ni de ce que je fais, ni de ce que je lis. Il y a surtout une consultation d’avocat, pour Mlle Clairon, qui est du style des charniers Saints-Innocents. J’ai pardonné à l’archidiacre[1] ; j’oublie Fréron ; mais Omer me le payera.

Les jésuites sont bien impudents d’oser dire que frère La Valette ne faisait pas le commerce, et qu’il ne vendait que les denrées du cru. Je connais un homme d’honneur, un brave corsaire, qui l’a vu, déguisé en matelot, courir les colonies anglaises et hollandaises, et qui l’a accompagné dans un voyage à Amsterdam.

Je suis encore plus indigné de tout ce que je vois que de tout ce que je lis. Je regrette fort le chevalier d’Aidie[2], car il était bien fâché contre le genre humain. Je crois que je n’aime que mes anges et Ferney.

M. le duc de Choiseul m’a écrit une fort jolie lettre ; mais il est si grand seigneur que je n’ose l’aimer.

Le cardinal de Bernis est à Lyon. Je ne l’ai pas prié de venir dans mon joli séjour. Je ne suis pas arrangé encore, et il est cardinal.

Je vous demanderai encore en grâce de lire le Droit du Seigneur, ou l’Écueil du Sage. Je vous dis qu’il faut que vous ayez des âmes de bronze, si vous n’en êtes pas contents. Il est vrai que c’est tout autre chose que ce que vous avez vu ; mais songeons à Oreste. J’y travaille dans l’instant.

  1. Trublet ; voyez la lettre 4534.
  2. Voyez une note de la lettre 4445.