Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4383

Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 106-107).

4383. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 22 décembre.

Il y a eu, madame, de la réforme dans les postes. Les gros paquets ne passent plus. Je doute fort que vous ayez reçu ceux que j’ai eu l’honneur de vous adresser, et j’en suis très en peine. Je vous prie très-instamment de me tirer de cette inquiétude. Les rogatons[1] que j’avais trouvés sous ma main, pour vous amuser ou pour vous ennuyer un quart d’heure, sont des misères, je le sais bien ; mais je serais affligé qu’elles eussent passé dans d’autres mains que les vôtres.

Comment vous amusez-vous, madame ? que faites-vous de ces journées qui paraissent quelquefois si longues dans une vie si courte ? Comment le président[2] s’accommode-t-il d’être septuagénaire ? Pour moi, qui touche à ce bel âge de la maturité, je me trouve très-bien d’avoir à gouverner les dix-sept ans de Mlle Corneille. Elle est gaie, vive, et douce, l’esprit tout naturel ; c’est ce qui fait apparemment que Fontenelle l’a si mal traitée.

Je lui apprends l’orthographe, mais je n’en ferai point une savante ; je veux qu’elle apprenne à vivre dans le monde, et à y être heureuse.

Je vous souhaite les bonnes fêtes, madame, comme disent les Italiens mes voisins. Cependant vous ne sauriez croire combien il y a de gens, en Italie[3] qui se moquent des fêtes. Mon Dieu, que le monde est devenu méchant ! C’est la faute de ces maudits philosophes.

  1. Voyez plus haut le second alinéa de la lettre 4365.
  2. Hénault, qui était alors dans sa soixante-seizième année.
  3. Ceci rappelle le proverbe italien :

    Roma veduta,
    Fede perduta.