Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4363

Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 89-90).

4363. — À M. LE COMTE D’ARGEMAL.
9 décembre.

remontrances de voltaire à ses anges gardiens.

De Deliciis clamavi :

1° Mes anges ne cesseront-ils jamais d’être comme Dieu, qui commande des choses impossibles ?

2° Mes anges me croiront-ils de fer quand je suis d’argile, et prendront-ils zèle pour puissance ?

3° Voudront-ils de suite deux pères[1] condamnant leurs filles, et s’en repentant ? Ne faut-il pas un intervalle entre des choses qui ont quelque ressemblance ?

4° Ne vaut-il pas mieux avoir le plaisir de donner la comédie du sieur Hurtaud, jouir de l’incognito, passer du tragique au comique, et rire sous cape de toutes les sottises du public ? Nota bene que je me flatte que mes anges verront que le Droit du Seigneur ne ressemble en aucune manière à Nanine.

5° Ou je suis une bête, ou le Droit du Seigneur est comique et intéressant.

6° Je crie à mes anges : Trouvez cela comique et intéressant, vous dis-je, et faites-le jouer adroitement.

7° Je les supplie de vouloir bien faire envoyer le paquet ci-joint à la pauvre aveugle Mme du Deffant. Si elle a perdu les yeux, elle n’a pas perdu sa langue ; il faut consoler les affligés. Je demande pardon de la liberté grande[2].

8° À propos de la liberté grande, et ma lettre[3] à M. Lemuierre ?

9° Dans peu vous aurez nouvelle offrande.

10° Pour Dieu, laissons là Fanime pour quelque temps.

Il faut présenter toujours des requêtes au conseil. Je suis occupé à chasser les jésuites d’un terrain qu’ils avaient usurpé sur des orphelins[4] : cela est plus difficile qu’une tragédie, mais j’en viendrai à bout, et cela sera plaisant ; mais il n’y a pas moyen de combattre les jésuites, et de rapetasser Fanime ; il faut choisir.

11° J’attends les feuilles[5] de Prault ; je lui taillerai de la besogne.

12° J’attends Rodogune[6]. Je n’avais imploré les bontés de Mme d’Argental, dans cette affaire, que pour lui témoigner mon respect, et pour mettre Rodogune sous une protection plus honnête que celle de M. Le Brun, quoique M. Le Brun soit fort honnête. Je remercie tendrement M. comme Mme d’Argental de toutes leurs bontés pour Rodogune.

13° Qui est l’auteur du Savetier du coin ? Il pense bien, mais il est trop savetier. Qui a fait l’Homme de lettres ? Il écrit mieux, mais cela n’est pas piquant.

14° Voici le gros article. Je n’aime point cette ophthalmie ; les maux des yeux sont sérieux. Soyez bien sage, mon cher ange, que j’aime comme mes yeux ; rafraîchissez-vous, couchez-vous de bonne heure ; ayez peu d’affaires ; tenez-vous gai surtout : c’est le remède universel.

Je baise le bout de vos ailes.

  1. Argire, dans Tancrède, et Bénassar, dans Fanime (ou Zulime).
  2. Mémoire de Grammont. chap iii.
  3. Voyez l’avant-dernier alinéa de la lettre 4314.
  4. MM. de Crassy.
  5. Celles de la tragédie de Tancrède, que Prault imprimait.
  6. Mlle Corneille ; voyez la lettre 4360.