Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4277

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 561).
4277. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 septembre.

Je vous ai écrit des volumes, ô mes anges ! tout en jouant Alzire, Mahomet, Tancrède et l’Orphelin. Ah ! l’étonnante actrice[1] que nous avons trouvée ! quelle Palmire ! vingt ans, beauté, grâce, ingénuité, et des larmes véritables, et des sanglots qui partent du cœur ! Pauvres Parisiens, que je vous plains ! vous n’avez que des Hus.

Mme de Pompadour n’est point poule mouillée[2], ni moi non plus.

Prenez à cœur le long mémoire, les changements que je vous ai envoyés par M. de Courteilles. Que je jouisse, au moins en idée, de deux représentations qui me satisfassent. Les cœurs sont-ils donc faits à Paris autrement que chez moi ? M. le duc de Villars ne s’y connaît-il point ? ma nièce est-elle sans goût ? suis-je un chien ? Que coûte-t-il d’essayer ce qui fait chez nous le plus grand effet ?

Est-il vrai que les décorations ne sont pas belles ? qu’il n’y a pas assez d’assistants au troisième et au cinquième ? que Grandval néglige trop son rôle, parce qu’il n’est pas le premier ? que Lekain ne prononce pas ? que Mlle Clairon a joué faux quelques endroits ? À qui croire ? la calomnie y règne[3].

Mme de Fontaine a fait une belle action[4]. J’aurai bientôt un grand secret[5] à vous confier.

Nous venons de répéter Fanime. — Plus de larmes qu’à Tancrède. — Un Ramire admirable. Je corromps[6] toute la jeunesse de la pédante ville de Genève. Je crée les plaisirs. Les prédicants enragent ; je les écrase. Ainsi soit-il de tous prêtres insolents et de tous cagots !

Ô anges ! à l’ombre de vos ailes.

  1. Lucrèce-Angélique de Normandie, alors Mme Rilliet, et qui, après la mort de Mme de Fontaine, épousa, en 1772, le marquis de Florian.
  2. Voyez le dernier alinéa de la lettre 4259.
  3. Tancrède, acte III, scène iii.
  4. Mme de Fontaine avait quitté le château d’Hornoy tout exprès pour assister à une représentation de Tancrède.
  5. Le grand secret dont parle Voltaire concernait sans doute Oreste, qu’il retouchait à cette époque. (Cl.)
  6. Allusion au dernier alinéa de la lettre de J.-J. Rousseau, du 17 juin ; voyez page 423.