Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4161

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 430-431).

4161. — À M. D’ALEMBERT.
20 juin.

Ma cousine Vadé me mande qu’elle a recouvré cet ouvrage moral[1] depuis trois mois, et que notre cousin Vadé étant mort au commencement de 1758, il ne pouvait parler de ce qui se passe en 1760 ; mais il en parlera par voie de prosopopèe.

Je n’ai point vu le Mémoire de Pompignan. Thieriot m’abandonne, tirez-lui les oreilles.

Mons Palissot dit que je l’approuve ! Qu’on aille chez M. d’Argental, il montrera ma lettre à lui adressée, en réponse de la comédie d’Aristophane, reliée en maroquin du Levant. Je ne puis publier cette lettre sans la permission de M. d’Argental ; elle est naïve. Je pleure sur l’abbé Morellet et sur Jérusalem. Ô mon aimable, et gai, et ferme, et profond philosophe ! il faut f… les dames et les respecter. Je ne dis pas qu’il faille f… Mme du Deffant ; mais sachez qu’elle ne m’envoya jamais la lettre dont vous vous plaignez. Elle fit apparemment ses réflexions, ou peut-être vous lui lâchâtes quelque mot qui la fit rentrer en elle-même,

N’aurons-nous point l’histoire de la persécution contre les philosophes, un résumé des âneries de maître Joly, un détail des efforts de la cabale, un catalogue des calomnies, le tout avec les preuves ? Ce serait là le coup de foudre ; intérim ridendum.

Oui, sans doute, le seigneur, le ministre dont il est question, a protégé Palissot et Fréron, et il me l’a mandé, et il les abandonnait, et il n’est pas homme à persécuter personne, et il pense comme il faut, quoique pædicaverit cum Freronio in collegio Clari-Montis[2], et quoique Palissot soit le fils de son homme d’affaires ; mais l’insulte faite à son amie mourante est le tombeau ouvert pour les frères. Ah ! pauvres frères ! les premiers fidèles se conduisaient mieux que vous. Patience, ne nous décourageons point ; Dieu nous aidera, si nous sommes unis et gais. Hérault disait un jour à un des frères : « Vous ne détruirez pas la religion chrétienne, — C’est ce que nous verrons », dit l’autre[3].

  1. Le Pauvre Diable. — La lettre à maître Abraham Chaumeix, qui précède cette satire, est signée Catherine Vadé.
  2. Le collège de Louis-le-Grand (ou collège des jésuites) porta d’abord le nom de collège de Clermont.
  3. C’est au lieutenant de police Hérault que Voltaire fit cette réponse. L’anecdote est rapportée, par Condorcet, dans sa Vie de Voltaire ; voyez tome Ier.