Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4139

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 402-403).

4139. — DE M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].

Vous me parlez, monsieur, fort au long, dans la lettre dont vous m’honorez, d’assignations, de procès, et de contestations sérieuses, toutes choses à quoi je ne songe nullement, ni à rien qui puisse troubler la bonne intelligence qui est entre nous, et qui, à ce que j’espère, y subsistera toujours. On vous a fait indiquer en la forme ordinaire un jour où il sera procédé à l’état et reconnaissance des bois, afin que vous y fassiez trouver quelqu’un de votre part. Il faut bien, pour notre sûreté réciproque, et autant pour vous que pour moi, dresser cet état. C’est une chose qui se fait toujours en cas pareil à celui où nous sommes par la remise de 1758. Il en a été question dès l’an passé, et, si vous avez la bonté de jeter les yeux sur nos lettres d’alors, vous verrez que je vous en ai détaillé les raisons, et que cette précaution d’usage n’est pas moins nécessaire à votre égard qu’au mien. Il ne s’agit nullement de procès. Assurément je me flatte que nous n’en aurons jamais, vous et moi. Mais je crois que vous n’avez pas moins à cœur d’éviter qu’il n’y en ait jamais entre nos deux familles. Aujourd’hui, nous savons fort bien tous deux l’état des choses ; mais il n’en sera pas de même de l’avenir, à moins qu’il n’y ait à présent un mémoire par écrit et en forme, servant à constater un jour en quel état les choses vous ont été remises, et s’il y a eu des changements faits depuis la remise. Sans cela, nous laisserions aux nôtres la source d’une foule de tracasseries qu’il serait peu sage de ne pas prévenir en suivant la forme usitée. Ainsi, pour peu que vous y veuilliez bien faire réflexion, vous sentirez que ceci, loin de vous mettre en alarmes, est une chose que vous devez vous-même désirer.

Elle n’a été différée jusqu’à présent que parce que vous m’avez vous-même demandé ce délai sur d’autres propositions ; et en effet cette reconnaissance nous est inutile à tous deux, si vous devenez propriétaire du fond. Nous étions, ce me semble, à peu près d’accord, l’an passé, de nos conventions là-dessus, par le petit mémoire qui me fut envoyé, que vous aviez dressé avec Girod, et apostillé de votre main[2]. Sur quoi, croyant la chose faite, j’envoyai, les premiers jours de l’an, les conventions de vente, revêtues de ma signature, obligatoire jusqu’au 1er février, et qu’il n’a tenu qu’à vous, jusqu’à présent, de souscrire, ainsi que je l’ai fait. Quelque peu de goût que j’aie pour me défaire de cette terre, je ne sais ce que c’est que de rétracter une parole une fois donnée. Mais j’ai attendu jusqu’au premier de mai sans que rien se soit terminé. Vous sentez qu’il n’est pas juste que je reste engagé tout seul. Vous m’avez marqué vous-même que vous vouliez que ceci fût terminé avec célérité, et que tout à cet égard fût conclu avant Pâques. Si le marché se fait, tout est dit : il n’y a qu’à le faire, puisqu’on en est convenu ; s’il ne se fait pas, il faut reprendre tout de suite les choses où elles en étaient d’ailleurs. Mon petit garçon ne sera pas fâché de retrouver un jour sa vieille terre. Mais moi, je souhaite qu’il en voie jouir longtemps et très-longtemps une personne qui honore son siècle, et de l’amitié de qui je fais plus de cas que de la terre.

Je ne sais pas sur quoi vous m’objectez que j’ai coupé des bois à la forêt depuis notre traité. Si vous voulez le lire, vous y verrez que j’ai déclaré dans l’acte que j’avais ci-devant vendu huit ou treize pieds de chênes qui ne seraient pas compris dans la remise de la forêt, et que ceux qui les avaient achetés pourraient emmener comme de raison. L’année précédente[3], dans un temps où il n’était pas question de notre marché, j’avais vendu à Charlot, pour une assez bonne somme, dont je ne me souviens pas au juste à présent, une partie de coupe à faire dans l’une des quatre portions du bois que vous savez. Charlot a coupé selon notre convention, et a laissé dans cette portion beaucoup plus qu’il n’y coupait, comme je le lui avais dit, et comme tous les gens du pays qui le viennent de voir le savent. Mais, depuis notre traité, je ne me suis mêlé de Tournay ni de près, ni de loin.

  1. Éditeur, Th. Foisset. — Fin de mai 1760. Réponse à une lettre de Voltaire, du 9 mai, qui ne s’est pas retrouvée.
  2. Voir ci-dessus, page 280. Les apostilles autographes de Voltaire subsistent dans la pièce originale.
  3. Cette date répond d’avance à tout ce que Voltaire Imaginera dans la suite à ce sujet. Il paraît même que la vente faite à Charlot Baudy eut lieu lors du voyage de M. de Brosses à Tournay, en septembre 1756, deux ans avant le marché avec Voltaire. (Note du premier éditeur.)