Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4137

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 400-401).

4137. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
Au château de Tournay, par Genève, pays de Gex, 28 mai 1760.

Monsieur, ayant acquis pour la vie la terre de Tournay, de M. le président de Brosses, située dans le ressort du parlement au bailliage de Gex, et étant en marché avec lui pour l’acquisition à perpétuité ; ayant de plus d’autres terres dans le pays, je compte parmi mes devoirs celui de vous présenter mon respect, et de demander votre protection. Les bontés dont monsieur votre père m’a honoré toute ma vie semblent me donner quelque droit aux vôtres.

Les juges du bailliage de Gex firent, l’année passée au mois d’août, une procédure bien vive contre un Suisse qui demeurait auprès de ma terre de Tournay, et qui défendit ses noix, que lui volait un Savoyard. Ils firent pour six cent livres de frais, comptant que je les payerais.

L’endroit où fut commis le délit s’appelle la Perrière : c’est un fief de Genève, dont la juridiction a été cédée au roi par l’article 2 du traité de 1749, traité que les juges de Gex et le procureur du roi ne devaient pas ignorer.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous envoyer la copie de l’acte authentique, tirée des registres de Genève, certifiée par le résident du roi. Vous verrez, monsieur, par cet acte, que la république de Genève avait la juridiction suprême sur cet endroit nommé la Perrière, juridiction dont le roi est en possession depuis 1749.

Ayant ainsi démontré avec un peu de peine et d’embarras la méprise où le bailliage de Gex était tombé, oserai-je prendre la liberté, monsieur, de recourir à vos bontés et vous supplier de daigner me recommander à messieurs du bailliage dans tout ce qui sera d’une exacte justice ? Il est impossible que la nécessité où ils m’ont mis de mettre leur erreur au jour n’ait jeté un peu d’aigreur dans les esprits, quoique je me sois conduit avec tous les égards possibles. Un mot de vous préviendrait tous les petits mécontentements, et maintiendrait la concorde entre messieurs du bailliage et les juges de mes terres. Le repos est le premier bien, et je le devrais à vos bontés.

Je présume trop peut-être, et je devrais me borner à vous prier d’agréer le profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.


Voltaire,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

  1. Éditeur, Henri Beaune. — Jean-Philippe Fyot de La Marche, premier président du parlement de Bourgogne, fils et successeur du condisciple de Voltaire.