Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4035

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 289-290).

4035. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1]i.
Aux Délices, 26 janvier.

Madame, si mon petit commerce avec la personne[2] que vous savez trouve quelques épines, il me vaut bien des fleurs de la part de Votre Altesse sérénissime. Je la crois un peu coquette. Ce n’est pas vous, madame, assurément, que je veux dire ; c’est la belle dont Votre Altesse sérénissime favorise les beautés et les prétentions. Elle a fait part de ses amours à un confident[3] qui n’a pas le cœur tendre, et je crois que son amant pourrait être un peu refroidi. Voilà, madame, la première fois que j’ai parlé galanterie au milieu des neiges des Alpes. Je me sens plus à mon aise, et plus dans mon naturel, en parlant, à Votre Altesse sérénissime, des talents de votre auguste famille, des grâces d’Alzire, de celles de Gusman, d’un jupon à falbalas, de plumes et d’un habit à l’espagnole. Je devrais bien être le souffleur, ce rôle me conviendrait mieux que celui que je fais je ne sais comment. J’ai de la peine avec la coquette ; je sais bien qu’elle est faite pour séduire, et qu’avec tant de beauté on n’attend pas d’elle beaucoup de bonne foi. Je souhaite qu’on respecte ses caprices, et qu’elle ne s’en repente pas : pour moi, j’aurai toujours beaucoup de respect pour les belles, et, tout vieux que je suis, j’aime encore mieux en parler que des horreurs de la guerre et des tigres de l’espèce mâle qui se déchirent dans les glaces.

On a imprimé, madame, les Poésies du philosophe de Sans-Souci. Je n’ai pu encore parvenir à en avoir un exemplaire. Il serait plaisant qu’il eût fait imprimer ses vers pour en faire présent à M. de Daun[4]. Je crois que ces poésies seront mises à Rome à l’index.

Daignez agréer, madame, toujours le profond respect du Suisse V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Frédéric II.
  3. Sans doute l’Angleterre.
  4. Souvent vainqueur de Frédéric.