Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4013

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 267-268).

4013. — À M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Aux Délices, 2 janvier 1760.

J’ai l’honneur, monsieur, de présenter mes respects à toute votre famille, et à vous surtout, du meilleur de mon cœur au commencement de cette année. J’attends vos ordres pour la conclusion de l’affaire de Tournay. Je me flatte que quand vous serez débarrassé des premiers soins qu’exige votre séjour à Dijon, vous voudrez bien instruire le sieur Girod de vos volontés et l’honorer de vos pleins pouvoirs.

Permettez aussi, monsieur, que je vous supplie de me faire communiquer les pièces concernant les droits de la terre. La petite affaire de Panchaud me rend surtout cette communication nécessaire. Vous savez bien, monsieur, que la notoriété publique ne suffit pas pour constater un droit de haute justice. Il faut quelque acte, quelque exemple. Le lieu nommé la Perrière est situé sur un fief de Genève. Il est à présumer dès lors que le seigneur de Tournay n’a pas droit de juridiction dans cet endroit. On dit que, quand il y a eu des catholiques dans ce terrain, ils ont été à la messe à Chambésy. Mais, monsieur, une messe n’établit point une haute justice.

Quant à la justice qu’on a rendue au nommé Panchaud, il n’est pas croyable que cet homme ait été condamné à un bannissement perpétuel uniquement pour avoir défendu ses noix. On assure qu’il a été condamné pour des délits commis longtemps auparavant ; il est donc de votre équité et de votre intérêt, monsieur, vous qui jouissiez alors de la terre, que les frais ne soient pas exorbitants, et que la haute justice sur la Perrière soit bien constatée. En ce cas, j’y ferai mettre quatre poteaux.

Je suis honteux de vous importuner de ces minuties. Votre Salluste m’intéresse bien davantage, et la lenteur des Cramer m’étonne. J’imagine, monsieur, que vous vous êtes étendu sur l’état de la république, sur le gouvernement de la Mauritanie, sur les changements arrivés dans l’Afrique, sur l’extrême différence des peuples qui l’habitaient alors avec ceux qui la désolent de nos jours, et qui la rendent si barbare. Quelque parti que vous ayez pris, on ne peut attendre de vous que du plaisir et des instructions. Je voudrais pouvoir me rendre digne de votre confiance et de vos ordres ; vous verriez au moins par mon zèle avec quelle estime et quelle amitié respectueuse je vous suis attaché. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.