Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3999

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 257-258).

3999. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au Délices, 11 décembre.

Je me flatte, mon divin ange, que la mort funeste de la princesse[1] que vous regrettez ne changera rien à votre destinée, et que votre place n’en sera pas moins pour vous une source de choses utiles et agréables. Permettez-moi de vous marquer toute la part que nous prenons, Mme Denis et moi, à ce triste accident. Je suis persuadé que madame l’infante vous avait bien goûté, qu’elle sentait tout ce que vous valez ; et, en ce cas, vous perdez beaucoup. Votre cœur sera affligé ; mais, quoique votre intérêt ne soit pas pour vous un motif de consolation, il faut bien que vos amis envisagent cet intérêt, que vous êtes bien homme à négliger.

Voilà, dit-on, de belles espérances de paix ; le roi d’Angleterre l’offre en vainqueur. Je ne veux point demander si cette déclaration de sa part est une suite de certaines démarches ; je demande seulement, comme citoyen, si vous pensez que nous aurons la paix. Je la vois nécessaire pour nous. J’ai bien de la peine à la voir glorieuse ; mais j’attends tout des lumières et de la belle âme de M. le duc de Choiseul. C’est alors que nous pourrons mettre les chevaliers français sur la scène ; ils seront à vos ordres comme l’auteur. Cette Femme qui a raison me fait de la peine ; on la dit imprimée, et très-mal : c’est ma destinée, et cette destinée désagréable a été toujours la suite de ma facilité. On ne se corrige de rien ; au contraire, les mauvaises qualités augmentent avec l’âge comme les bonnes. Que vous êtes heureux ! et que cette loi de la nature vous est favorable ! Je vous souhaite, et à Mme Scaliger, une jolie année 1760, et cinq ou six bonnes pièces nouvelles. Si j’avais du temps j’en ferais une, bonne ou mauvaise ; mais Pierre m’appelle ; je ne connais que vous et lui.

  1. Louise-Elisabeth, fille de Louis XV et femme du duc de Parme, morte le 6 décembre, de la petite vérole.